Ainsi jardinait Zarathoustra

L’hiver et l’inactivité au jardin m’incite à prendre le temps de quelques modestes réflexions philosophiques. Epicure, Voltaire, Rousseau et bien d’autres (sur lesquels, peut-être, je reviendrai une fois…) ont écrit sur le jardin. En relisant « les consolations de la philosophie » d’Alain de Botton,  voici que, au milieu d’eux, surgit un promeneur inattendu dans le jardin : Nietzsche (1844-1900).

On a tendance à le voir nous plutôt en montagne qu’au jardin, gravissant le Piz Corvatsch au-dessus de Sils Maria, pour en faire une métaphore de l’effort, de la souffrance, pour s’arracher à la médiocrité et aller vers son accomplissement joyeux. Pour lui, toutes les vies sont difficiles et c’est la manière dont on affronte les difficultés (et pas comment on les évite) qui les rend réussies. Montaigne disait : Il faut apprendre à souffrir ce que l’on ne peut éviter, notre vie est composée comme l’harmonie du monde, de choses contraires, de divers tons. Nietzsche, dans sa tentative de consolation de ses semblables, estime que les difficultés sont une condition sine qua non de l’accomplissement personnel (et que les consolations faciles sont plus cruelles qu’utiles, en particulier l’alcool et la religion).

Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », Nietzsche fait de multiples allusions au jardin: il est un paradis sur terre, dont rien n’est exclu, ni Sodome, ni Gomorrhe, ni la mort qui prend, dévore, qui rejette pour vivre et mourir encore. Et plus que cela, son jardin symbolise un lieu dédié à la vie et à la beauté dont l’homme devenu jardinier est le seul créateur et le seul resposable (M. Grygilewicz)

Nietzsche s’est intéressé au jardinage et après avoir démissionné de son poste à l’université de Bâle en 1879, il se mit en tête de devenir horticulteur. « J’ai besoin d’un vrai travail qui exige du temps et provoque la fatigue sans tension mentale », écrit-il à sa mère. Celles et ceux d’entre nous qui ont une occupation professionnelle essentiellement intellectuelle, savent bien le besoin de « vrai » travail,, celui qui tache et égratigne les mains, celui qui fait transpirer, celui dont on voit le résultat à la fin de la journée. Les jardiniers savent bien que cette activité correspond bien à sa définition. Notre philosophe loue donc un jardin attenant à une vieille bâtisse à Naumburg, et au mois d’octobre, commence à cultiver. Les difficultés surviennent très rapidement, le pauvre Nietzsche, ne voit pas bien et a mal au dos. Il ne peut tailler ses arbres ni ramasser les feuilles mortes et renonce au bout de 3 semaines.

Que fait donc le philosophe en prise avec cette expérience ? Il en tire bien sûr un enseignement : Nietzsche nous invite à considérer nos difficultés comme des plantes étranges ou déplaisantes (des mauvaises herbes, quoi !) dont le jardinier avisé saura tirer de belles fleurs, ou de l’engrais, ou d’autres éléments nutritifs, de même que, dans la vie, les situations difficiles peuvent produire, si on y travaille, de belles réussites et de grandes joies. « On peut disposer de ses sentiments comme le jardinier et, bien que peu le sachent, cultiver les racines de la colère, de la pitié, de la curiosité ou de la vanité d’une façon aussi productive et profitable que celles d’un bel arbre fruitier ».

Comment alors cultiver son jardin intérieur ? En observant d’abord, en prenant le temps de la réflexion, puis en passant vigoureusement et courageusement à l’action en nous créant nous-même. Et encore, résister à la tentation d’arracher nos mauvaises herbes internes et croire que rien de bon ne peut sortir du mal.

Et notre jardin-jardin ? de la même manière, en observant, sans apport d’engrais, en acceptant la mauvaise météo, les ravages des mulots, les expériences foireuses et en apprenant toujours et encore des mystères de la nature. Alors, il sera temps de célébrer les réussites et partager les fruits de l’abondance! Ainsi jardine Zarathoustra!

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  1. Corinne

    Tes écrits sont de plus en plus magnifiques!
    Je suis fière de te lire

  2. Corinne

    Tes écrits sont magnifiques!
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