Quel rapport entre Vandana Shiva, figure indienne très engagée dans la lutte contre les géants de l’agro-alimentaire, et notre petit jardin ? Entre une paysanne du Kerala illettrée mais riche de savoirs ancestraux et moi, femme occidentale, nantie et éduquée ? Entre une autarcie vitale là-bas et une quête d’autonomie légumière ici ?
La réponse pourrait bien se trouver dans ce mot : « graines ».
La majorité de nos voisins de chariots coopératifs ignore combien de sortes de pommes existent en Suisse. Fruit Union Suisse recense 1000 variétés dont seulement moins de dix constituent l’essentiel de la production de pommes de table. De même, sur les dizaines de variétés de pommes de terre existantes, seules une infime partie arrive dans nos assiettes.
Et qui connaît vraiment la portée du commerce mondial des semences monopolisé par quelques multinationales ? Car au-delà de la mainmise sur les graines, c’est le sol, la diversité du Vivant et l’avenir alimentaire de tous qui sont menacés.
Dans le domaine des céréales, les grains anciens ont été progressivement évincés par des blés modernes hybridés souvent stériles. Ce qui empêche la reproduction des semences par le paysan, en le plaçant dans une situation de dépendance économique. De plus, ces nouveaux blés sont plus pauvres en protéines et bien plus riches en gluten, gage de plus de productivité !
En Inde, en Afrique, en Amérique du Sud, les paysans ont été ainsi peu à peu privés de leurs semences céréalières traditionnelles et placés sous le joug des grands semenciers qui leur imposent les variétés « autorisées » qu’eux seuls sont à même de leur fournir, interdisant au passage toute reproduction libre des semences. C’est ainsi qu’en Afrique, le manioc a été très souvent remplacé par du riz importé d’Asie, alors qu’au Mexique, les variétés traditionnelles de maïs servant à faire la tortilla, aliment de base, ont été remplacées… par des maïs américains destinés initialement aux animaux !
Et ce ne sont pas seulement la diversité alimentaire et les cultures traditionnelles qui disparaissent, mais aussi les savoirs-faire agricoles, et notamment ceux des femmes…
Un autre lien apparaît alors : tout comme les graines, les compétences féminines sont dilapidées et dévalorisées. C’est d’ailleurs la base du mouvement « écoféministe » initié, entre autres, par Vandana Shiva. Elle suggère que, comme les femmes indiennes, les femmes occidentales sont aussi dépossédées de leurs savoirs-faire alimentaires et que cela les met dans une situation de dépendance alimentaire. Mais quel rapport avec les graines me direz-vous ?
TOUT ! Car la perte de la diversité (des graines et des savoirs-faire) est un tout et, dans nos jardins, nous avons la responsabilité et le devoir de revenir aux bases, au simple, au non transformé et au non manipulé…
Les catalogues des grainiers locaux (Sativa, Zollinger et le Grainier en Suisse) témoignent de la richesse (encore) présente de nos plantes et des possibles que peuvent accueillir nos jardins. Honneur à eux ! Ces patrimoines matériels et même immatériels sont vitaux, parce qu’ils sont vecteurs de savoirs, qu’ils maintiennent ou réveillent des traditions ou des identités locales. Et parce qu’ils ouvrent la porte aux liens sociaux. Les granothèques libres et publiques , comme par exemple à la bibliothèque de Vevey, en sont un bel exemple. Ceci dit, produire des graines à une plus large échelle que celle de nos petits jardins demande des connaissances et du savoir-faire, notamment pour ne pas perdre les caractéristiques génétiques des plantes que nous reproduisons (pensons à cet égard aux courges qui s’hybrident très facilement).
Que cela ne ne nous empêchent pas de prélever, conserver, re-semer, donner et recevoir font de nous des militant-es de la diversité et du lien.
Et chaque graine que nous protégeons nous éloigne de la main-mise de l’industrie agro-alimentaire, tout en nous rapprochant de nos sœurs en sari.
Alors semons !
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