Je ne sais pas si ma plume sera à la hauteur de l’exercice, je doute, voyez-vous. Entrer dans le jardin de Sissinghurst[1], c’est comme entrer dans une cathédrale. Vous êtes interloqués, et dans un premier temps vous ne savez où poser le regard. Atteint de boulimie de couleurs et de formes, de vues et de perspectives, il faut s’arrêter au milieu du festin au risque de la saturation. 

On reprend son souffle : Nous sommes dans le Kent, le bien-nommé jardin de l’Angleterre, une sorte de graal pour les amateurs de jardin à l’anglaise.  

Le jardin de Sissinghurst a une histoire, bien sûr, celle de ses créateurs, l’écrivaine Vita Sackville West (1892-1962) et Harold Nicolson (1886-1968), diplomate, homme politique, et auteur lui aussi.

Vita est née de très très bonne famille, au château familial de Knole, situé à quelques encablures de Sissinghurst. A la mort de son père, et selon la loi anglaise, elle n’hérita pas. Ce fut l’occasion de controverses et pour elle d’une tristesse tenace face à la perte de ce domaine et de son château de 400 pièces (qui se visite aussi, par ailleurs). 

L’achat de Sissinghurst en 1930 est probablement une manière de résoudre cette perte. Vita, née avec une cuillère en or dans la bouche n’a pas beaucoup travaillé dans sa vie, au sens ou l’on l’entend aujourd’hui. Non, elle a mené une vie aristocratique mondaine exubérante, de réceptions, de voyages et surtout d’écriture. On lui doit de nombreux poèmes, des romans, récits de voyages et des articles sur le jardinage. C’était certainement le genre de femmes sur qui tous les regards se tournaient quand elle faisait son entrée. Liée par un mariage très libre avec Harold Nicolson, elle fut la compagne de nombreuses femmes et en particulier de l’écrivaine Virginia Woolf, avec qui elle eut une relation passionnée et complexe de plusieurs années. Harold lui aussi avait des aventures masculines, mais ce couple, atypique pour l’époque, était lié par une profonde affection. Ils auront ensemble 2 fils  et…un jardin !

Approchons-nous donc de ce jardin enchâssé dans la campagne vallonée et boisée du Kent. Visibles de loin les deux tours en briques du château de Sissinghurst ainsi que les séchoirs à houblon, si caractéristiques de la région, nous indiquent la direction à suivre. Le château du 15ème siècle a connu bien des avatars avant d’être acheté en 1930 par Vita et Harold. Il fallait être visionnaire pour imaginer le potentiel du jardin en friche, rempli de déchets et du château élisabéthain totalement inhabitable, car en ruine à cette époque. 

Vita et Harold ont uni leur talent et leurs moyens financiers : lui l’architecte, elle la jardinière enthousiaste, pour en faire un des plus beaux jardins d’Angleterre (ce n’est pas moi qui le dit…). Vita n’était pas une professionnelle du jardinage mais elle était animée d’une passion pour l’expérimentation et n’a pas hésité à procéder par essais-erreurs, en laissant les plantes vivre leur vie, se ressemant (ou pas…).  Sissinghurst ne fut d’ailleurs pas son coup d’essai : Sa première propriété, son premier jardin, situé non loin de là, à Sevenoaks, lui servit d’apprentissage. Voyageuse, elle se fit fort d’acclimater des plantes, à l’image des explorateurs botaniques anglais des siècles passés.

Vita Sackville-West a appliqué à Sissinghurst quelques principes, qu’elle a développé dans ses chroniques hebdomadaires sur le jardinage dans l’Observer (In your Garden) et dont les jardiniers actuels peuvent sans aucun doute s’inspirer : 

1. Si quelque chose ne plaît pas ou n’est pas à sa place, on l’enlève. 

2. Ne pas essayer de tout contrôler : laisser les plantes vivre leur vie 

3. Avoir un plan architectural, saisonnier et de couleurs

Le résultat ouvert au public, en 1937 déjà, est époustouflant. Aujourd’hui géré par le National Trust, le jardin est visité par un public nombreux qui ne s’y trompe pas. Dès les premières floraisons printanières, le parking se remplit d’amateurs, plus ou moins attentifs et éclairés d’ailleurs. A ce propos, je vous conseille de vous y rendre soit à l’ouverture soit en fin de journée, ou mieux encore, lors d’une nocturne de fin d’après-midi, ou les photographes profiterons d’une douce lumière rasante. Pour les passionnés, il faut au minimum une journée pour en apprécier toutes les richesses.

Une des particularités de Sissinghurst est, qu’il est, pour une part importante, un jardin de chambres, c’est à dire composé d’espaces thématiques séparés, ceints de murs ou des haies. On y chemine d’une chambre à l’autre avec le sentiment de pénétrer dans l’espace intime de ses créateurs. A chaque entrée dans une nouvelle chambre, c’est un effet woaw ! : La conception chromatique, l’exubérance de plantes et de fleurs parmi lesquelles arbustes, rosiers et pivoines font office d’architectes en créant des tableaux extraordinairement harmonieux et poétiques. La surcharge et le kitsch sont un risque avec cette profusion de formes et de couleurs. Mais, il y a toujours un recoin, un banc à l’écart, une allée vers lesquels on peut se tourner pour reposer ses yeux et apaiser ses émotions. Une des réalisations les plus célèbres à Sissinghurst sont les chambres monochromes, le jardin blanc en particulier, dans lesquels, quelle que soit la saison, il se passe quelque chose… du grand art ! 

Il ne faut pas faire l’impasse sur les alentours du château qui font partie intégrante du domaine : le potager, d’abord, fantastique de rectitude et d’abondance qui nourrit les nombreux bénévoles-jardiniers ainsi que les visiteurs, la ferme et ses moutons (so british !), les lacs, les prairies rases, la forêt fraîche où se mêlent arbres centenaires, fougères et jacinthes au printemps. Il faut s’accorder du temps et flâner dans les prairies fleuries du verger et ses allées tondues à ras et observer les petits nuages moutonnants poussés par la brise. 

Imaginez l’armée de bénévoles nécéssaire, guidés par les jardiniers professionnels au savoir-faire impeccable, pour planter, entretenir, tailler, couper les fleurs fanées, balayer les allées afin que les visiteurs bénéficient d’une perfection dont personne n’oserait rêver pour son propre jardin. 

Au fond, Sissinghurst est une sorte de rêve d’un monde idéal où se réfugier à l’écart des bruits et de la fureur du monde, le leg d’une femme et d’un homme qui ont eu les moyens et l’enthousiasme pour le réaliser et qui ont permis aux amateurs et au simple péquin de toucher la grâce et la beauté, avant de rentrer chez soi plein d’énergie et d’inspiration.


[1] https://www.nationaltrust.org.uk/sissinghurst-castle-garden

Folles pivoines et folle histoire

Vous connaissez peut-être ma passion pour les pivoines… En consultant l’ouvrage de Franck Sadrin et Julien Joly (Pivoines : histoire, botanique et culture, Ulmer, 2016), je découvre un personnage dont je ne résiste pas à l’envie de vous faire connaître la vie incroyablement romanesque et son lien avec l’univers exubérant des pivoines. 

Il s’agit de Joseph Francis Rock. Né à Vienne en 1877, fils du concierge du comte Potocki, dont il dérobe à 13 ans un livre d’apprentissage du chinois. Livre qu’il étudie en cachette, au point de rapidement maîtriser la langue. Très doué pour les langues, il apprend également l’arabe, l’hébreu, le grec et le latin. Destiné à la prêtrise par son père, il fugue et vagabonde en Europe puis voyage aux Etats-Unis et à Hawaï où il enseigne à l’Université la botanique (probablement avec un faux diplôme), matière qu’il n’avait jamais étudié lui-même, semble-t-il, mais qui le passionne au point d’avoir toujours une longueur d’avance sur ses étudiants. Il devient un chasseur de plantes réputé et est envoyé par l’Université en expédition botaniste. 

Il se rend en Chine pour la première fois en 1913, première de nombreuses expéditions mandatées par le Département d’agriculture des Etats-unis ou par le National Geographic.

Il faut s’imaginer l’immense territoire chinois de l’époque comme un espace à explorer pour de nombreux aventuriers, scientifiques et autres missionnaires jésuites. Le territoire est constellé de baronnies et d’un patchwork d’ethnies déchirées par d’incessants conflits. On se rappelle que Joseph Francis Rock connaît le chinois, ce qui est naturellement un grand avantage pour lier facilement des liens avec les habitants et princes de tribus. Rock s’installe dans la province du Yunnan dont il fera la base arrière de ses expéditions.

Gansu, vers 1925, photographie de F.J. Rock, fonds Université Harvard

Il s’attache les services d’une petite troupe de Naxis, une ethnie locale, avec laquelle il entretiendra toujours des rapports étroits au point de rédiger un dictionnaire linguistique. Financé par le National Geographic, et certainement par les dons de chefs de tribu, il mène une vie flamboyante et romanesque de dandy exubérant, avec un goût certain de la mise en scène : ses caravanes d’exploration, avec matériel abondant, chevaux, yaks, bannières et troupes en tête, impressionnent les notables et les populations locales. Il fait jouer des airs d’opéras sur son gramophone, confortablement installé dans la nature, très correctement nourri de mets européens et d’alcools fins qu’il fait importer. Sa baignoire pneumatique lui permet de prendre des bains même en pleine montagne. Il se ruine en achats de chapeaux, cannes, chaussures et vêtements à la mode parisienne, à Kunming,  ville construite à la française  où régnait une délicieuse atmosphère mondaine, entre consulats, villas coloniales, avenues bordées de platanes  et boutiques  « Au Vrai Chic Parisien ».

Durant son long séjour au Yunnan, Rock reçoit la visite d’un officier nazi, qui cherche au Tibet les preuves que la race aryenne descend d’une race montagnarde archaïque. Il garde ses distances en étant très conscient des dangers du fascisme, comme de ceux du communisme, ce qui l’incite à entreprendre un grand travail de préservation, dans le domaine écologique comme dans le domaine culturel (envoi en Europe et Amérique de specimen végétaux, achat et études de manuscrits, étude des traditions médicales, etc.). Photographe, géographe, botaniste, linguiste, Rock multiplie les talents. Ses écrits et photographies sont conservés aujourd’hui à l’Université de Harvard et à la Bibliothèque du Congrès.

Nous arrivons aux fameuse pivoines: C’est lors d’une de ses expéditions, en 1925, que Rock découvre un exemplaire d’une pivoine inconnue, aux larges fleurs blanches, en pleine floraison, dans le jardin de la lamaserie de Choni au nord du Tibet, à près de 3000 mètres d’altitude. Rock ne l’avait jamais vue dans la nature et il est absolument certain que la pivoine est sauvage, et non le résultat d’une hybridation. Il n‘a cependant pas pu récolter de graines, étant reparti avant l’automne. Et là, l’histoire devient mystérieuse, car on ne sait pas comment il a finalement obtenu des graines de cette plante : ont-elles été offertes par le prince de Choni, récoltées par un membre de sa troupe ? Etaient-elle véritablement issues d’une espèce botanique unique ? Que sont-elles devenues ? Une partie de l’histoire restera sans doute dans l’ombre, la lamaserie ayant été détruite et le jardin rasé et brûlé dans un conflit tribal vers 1928, le prince et lama de Choni tué à cette occasion. Quoiqu’il en soit, il semble qu’il y ait trois jardins botaniques (Arnold Arboretum à Harvard, Kew Royal botanic garden et Botanical garden à Edimbourg) qui ont reçu ces graines et qui donneront plus tard des hybridations de Paoenia rockii.

J.F. Rock avec le prince et lama de Choni, vers1926

De son côté, Joseph Francis Rock  pérégrine dans le monde avec de nombreux allers et retours en Chine jusqu’en 1949, année où, la situation de guerre civile le contraint à quitter définitivement le pays, pour finalement s’installer à Hawaï ou il mourut en 1962. 

Les hybrides de pivoines rockii sont assez peu nombreuses, de couleurs classiques claires, le plus souvent blanches, et  portent une macule de couleur noire ou pourpre à la base de chaque pétale. On les trouve aujourd’hui dans les  catalogues des grands obtenteurs. Ce sont de magnifiques arbustives pouvant atteindre les 2 mètres à maturité. Certaines sont aussi exubérantes que Joseph Francis Rock lui-même, c’est dire !

Pour ma part, je n’en possède pas dans mon jardin, mais qui sait ?

Note: pour la rédaction de cet article, j’ai consulté le blog: http://josephfrancisrock.free.fr et la base de données photographies de l’Université de Harvard, restituée sur: http://pratyeka.org/rock/


Jardiner… plus que jamais

Oui, nous sommes chanceux, nous les heureux propriétaires de jardins, de balcons, d’un bout de terrain quelqu’il soit. Oui, nous pensons à celles et ceux qui sont confinés dans un appartement en ville et oui, quand les récoltes seront venues nous partagerons! Au temps du coronavirus, et de son cortège de souffrances morales et physiques, les jardiniers sont plus que fortunés. Sortir, respirer, écouter les oiseaux que l’on n’a jamais si bien entendu, observer la nature faire son oeuvre sans nous, mettre les mains dans la terre, semer, regarder pousser. En plus, c’est avril, notre mois de résurrection.

Je mets mes sabots de jardin et par une petite mais ensoleillée fricasse matinale, je fais le tour de mon coin de paradis en guettant le moindre changement. Les bruits du monde sont loin, très loin. Je regarderai les courbes d’évolution de la pandémie devant mon café et je me mettrai devant l’ordi pour ma dose quotidienne de télétravail. Je noterai au passage que le Conseil fédéral a décidé d’assouplir la règle afin d’autoriser le commerce de graines et de plantons (bien sûr, en respectant les règles sanitaires, qui soit dit en passant, sont devenues des réflexes, aussi vite que le sentiment de danger nous est tombé dessus). Il semble juste d’éviter les gaspillages de plantons de légumes, de fleurs qui ont été soignés par de vaillants horticulteurs et de servir des jardiniers amateurs qui ne demandent qu’à faire pousser leurs choux. Je ne sais pas si l’autoproduction de légumes par les particuliers a été quantifiée, mais elle n’est sans doute pas négligeable. Produire chez soi, c’est diminuer l’importation de légumes depuis l’étranger, c’est participer à l’autonomie alimentaire du pays, c’est bien sûr consommer des aliments plus sains, pour autant que l’on se passe d’intrants chimiques, évidemment. Mais, la débrouille a un côté bien charmant et donne un sentiment de joie quand on réussit à faire avec moins, à faire plus lentement ou à contourner les difficultés.

Ce matin, par visioconférence, je faisais voir à une amie jardinière du bout du canton, l’état de mes semis de tomates. Elle me montra sa plantation de pommes de terre. Quel drôle de dialogue à distance, nous qui adorons visiter nos jardins, échanger des trucs et des graines, partager nos découvertes et nos astuces. Et l’on se met à s’envoyer des graines ou les poser dans la boîte à lait du voisin, échanger des infos du style: “Tu as vu, à Mézières, y ‘a un gars qui met à disposition des plantons bio?”, ou bien “Eh! y’a un arrivage de terreau à semis chez X, dépêche-toi, y ‘en a pas beaucoup!” ou encore “J’ai fait trop d’aubergines, qui en veut ?” C’est tout un réseau d’échanges d’info ou de matériel qui se crée, de manière organique et spontanée, qui porte haut le drapeau de la générosité et de l’entraide, à l’image des réseaux de solidarité mis en place, très vite au début de la crise sanitaire. Cela participe à me donner espoir, après m’être navrée en constatant les achats de hamster de certains de nos concitoyens (du PQ pour 3 ans !)

Il faudra sans doute beaucoup de temps pour décrire ce qui nous arrive, pour comprendre et digérer cette crise sans précédent, mais, et c’est un truisme que de le dire, nous apprenons beaucoup et très vite: la solitude, la lenteur, le temps long, la peur, la solidarité, l’attention aux autres, la générosité et j’en passe…

Au jardin, nous apprenons à ne pas avoir tout ce que souhaitons, nous apprenons à demander et à donner de l’aide. Nous apprenons aussi la gratitude, nous gardons un équilibre mental, parfois précaire, en plantant des arbres ou des radis. Mais, lever le nez de son râteau et regarder le monde derrière notre haie, est un devoir d’humain. Il ne tient qu’à nous, bienheureux jardiniers, de ne pas être des égoïstes confinés dans nos jardins, mais jardiner, ça oui, plus que jamais!

Prenez soin de vous les amis, jardiniers ou non !

Un petit coup de blanc ?

C’est l’hiver… non, je vous le dis au cas où quelque chose vous aurait échappé? Fin janvier, au verger, les arbres ont été taillés, mais si l’on veut pouvoir manger quelque chose cet été, il faut traiter ! Quoi ? Malédiction ! Outrage ! Vous savez sûrement que les beaux fruits achetés en grande surface ont subi moult traitements chimiques acaricides, fongicides, bactéricides, insecticides (ça fait envie, non ?) pour arriver sur nos tables si réguliers, si parfaits. Ils ont été stockés en frigo pendant des mois, pour conserver leur esthétique tout au long de la saison de vente.

Alors quoi faire pour le jardin familial avec 4 à 10 arbres par exemple? S’armer comme un cosmonaute et gicler à tout-va ? Revenons à de plus sages dispositions… mais quand même, chaque année on se pose la question: quel stratagème inventer pour faire fuir le chancre, la monillose, la tavelure, la mouche Suzuki et autres joyeusetés qui feront de vos promesses de tartes aux fruits, des bides retentissants.

C’est à ce moment de réflexion intense qu’intervient un jeune paysagiste de mes amis, féru de nature naturelle (!) qui me propose de chauler mes arbres fruitiers. Ni une ni deux, je me renseigne, et lui aussi, et nous apprenons de concert l’ancienneté de la pratique et ses effets désinfectants et répulsifs pour les maladies cryptogamiques et contre les larves d’insectes ravageurs. Bon, bon me dis-je, essayons !

Pour mémoire et pour apprendre (rassurez-vous, je ne le savais pas non plus), la chaux, c’est du calcaire cuit à 900 degrés, qui se transforme en chaux vive. En y ajoutant de l’eau, une chaleur bouillonnante se produit et, en fin de processus, on obtient de la chaux éteinte. Ce matériau minéral a été utilisé depuis l’Antiquité pour la construction et les enduits muraux aux propriétés respirantes (un peu comme l’argile). Plus proches de nous, les écuries étaient souvent enduites de ce blanc pur, non pas pour faire joli, mais pour éviter la propagation bactérienne. En arboriculture aussi, la chaux a été utilisée et, peut-être, avez-vous déjà vu un verger aux troncs tout blancs, en vous demandant si le peintre du coin avait des bidons à terminer ? Eh non, pas pour faire joli, là non plus, mais dans un but de désinfection contre les maladies dues à des champignons qui ne ressemblent en rien à des cèpes de Bordeaux. La couleur blanche permet aussi aux arbres de mieux supporter les écarts de température (gel, dégel, coup de chaud).

Bien sûr, le progrès est passé par là, la chaux a été remplacée par le ciment, moins cher à produire, dès le 19 ème siècle. Les fours à chaux ont été éteints, les chaufourniers sont allé pointer au chômage. Pour nos arbres aussi, la chimie a trouvé les solutions !

Mais, nous les amateurs, nous qui voulons vraiment nous passer de la chimie, alors quoi ? Essayons donc le petit coup de blanc ! Pour ce faire, utiliser de la chaux vive (c’est moins cher que les mélanges déjà tout prêts), mais attention, protection des mains et des yeux indispensable, car en ajoutant l’eau pour “éteindre”, la chaux se met à cuire et des projections peuvent blesser l’amateur imprudent ! Une fois bien refroidi, ni une ni deux, on applique le mélange au pinceau sur les troncs, un jour sec et sans vent. Je dois dire que l’effet esthétique est incontestable et je me réjouis déjà des commentaires interrogateurs de mes voisins. Pour les jeunes arbres, autre traitement: mon jeune paysagiste enduit les troncs avec l’argile mélangé à de la bouse de vache bio, si si ! Pour les branches, huile de colza et savon noir !

Est-ce que ça va marcher ? ces efforts vont-il porter leurs fruits (c’est le cas de le dire)? Je vous ferai part de mes observations à la fin de l’été.

Pour fêter l’achèvement des traitements d’hiver, il y a un petit Epesses au frigo dont vous me direz des nouvelles !

Graines militantes, de l’Inde à notre jardin

Quel rapport entre Vandana Shiva, figure indienne très engagée dans la lutte contre les géants de l’agro-alimentaire, et notre petit jardin ? Entre une paysanne du Kerala illettrée mais riche de savoirs ancestraux et moi, femme occidentale, nantie et éduquée ? Entre une autarcie vitale là-bas et une quête d’autonomie légumière ici ?

La réponse pourrait bien se trouver dans ce mot : « graines ».

La majorité de nos voisins de chariots coopératifs ignore combien de sortes de pommes existent en Suisse. Fruit Union Suisse recense 1000 variétés dont seulement moins de dix  constituent l’essentiel de la production de pommes de table. De même, sur les dizaines de variétés de pommes de terre existantes, seules une infime partie arrive dans nos assiettes. 

Et qui connaît vraiment la portée du commerce mondial des semences monopolisé par quelques multinationales ? Car au-delà de la mainmise sur les graines, c’est le sol, la diversité du Vivant et l’avenir alimentaire de tous qui sont menacés.

Dans le domaine des céréales, les grains anciens ont été progressivement évincés par des blés modernes hybridés souvent stériles. Ce qui empêche la reproduction des semences par le paysan, en le plaçant dans une situation de dépendance économique. De plus, ces nouveaux blés sont plus pauvres en protéines et bien plus riches en gluten, gage de plus de productivité !

En Inde, en Afrique, en Amérique du Sud, les paysans ont été ainsi peu à peu privés de leurs semences céréalières traditionnelles et placés sous le joug des grands semenciers qui leur imposent les variétés « autorisées » qu’eux seuls sont à même de leur fournir, interdisant au passage toute reproduction libre des semences. C’est ainsi qu’en Afrique, le manioc a été très souvent remplacé par du riz importé d’Asie, alors qu’au Mexique, les variétés traditionnelles de maïs servant à faire la tortilla, aliment de base, ont été remplacées… par des maïs américains destinés initialement aux animaux !

Et ce ne sont pas seulement la diversité alimentaire et les cultures traditionnelles qui disparaissent, mais aussi les savoirs-faire agricoles, et notamment ceux des femmes… 

Vandana Shiva

Un autre lien apparaît alors : tout comme les graines, les compétences féminines sont dilapidées et dévalorisées. C’est d’ailleurs la base du mouvement « écoféministe » initié, entre autres, par Vandana Shiva. Elle suggère que, comme les femmes indiennes, les femmes occidentales sont aussi dépossédées de leurs savoirs-faire alimentaires et que cela les met dans une situation de dépendance alimentaire. Mais quel rapport avec les graines me direz-vous ?

TOUT ! Car la perte de la diversité (des graines et des savoirs-faire) est un tout et, dans nos jardins, nous avons la responsabilité et le devoir de revenir aux bases, au simple, au non transformé et au non manipulé… 

Les catalogues des grainiers locaux (Sativa, Zollinger et le Grainier en Suisse) témoignent de la richesse (encore) présente de nos plantes et des possibles que peuvent accueillir nos jardins. Honneur à eux ! Ces patrimoines matériels et même immatériels sont vitaux, parce qu’ils sont vecteurs de savoirs, qu’ils maintiennent ou réveillent des traditions ou des identités locales. Et parce qu’ils ouvrent la porte aux liens sociaux. Les granothèques libres et publiques , comme par exemple à la bibliothèque de Vevey, en sont un bel exemple. Ceci dit, produire des graines à une plus large échelle que celle de nos petits jardins demande des connaissances et du savoir-faire, notamment pour ne pas perdre les caractéristiques génétiques des plantes que nous reproduisons (pensons à cet égard aux courges qui s’hybrident très facilement).

Que cela ne ne nous empêchent pas de prélever, conserver, re-semer, donner et recevoir font de nous des militant-es de la diversité et du lien.

Et chaque graine que nous protégeons nous éloigne de la main-mise de l’industrie agro-alimentaire, tout en nous rapprochant de nos sœurs en sari.

Alors semons !

Jardins de guerre

Pendant les deux guerres du 20ème siècle, pour faire face à la chute des productions agricoles, les populations ont été incitées par les gouvernements à augmenter les surfaces de production alimentaire. On les appelait les Jardins de la victoire (Victory Gardens), ou Potagers pour la défense ou encore la Bataille des champs. A l’époque, l’effort de guerre faisait peser une très lourde charge sur un monde paysan appelé sur les fronts. Mobiliser les populations sur le front intérieur participait à l’effort collectif et à la mobilisation sociale était une bonne idée, bien sûr assortie de discours vaillamment patriotiques. Ainsi les gouvernements des Etats-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, d’Italie et d’Allemagne menèrent de grands plans de souveraineté alimentaire. 

Bêchez pour la victoire / Affiche britannique de Peter Fraser , 1939-45?

En Suisse, on se souvient encore du plan Wahlen pendant la seconde guerre mondiale, qui reste dans l’imaginaire collectif  avec ses plantations de pommes de terre dans les parcs. Dès 1940, le plan Wahlen a permis à la Suisse de stabiliser la production à 2200 calories par personne et par jour (3300 calories avant la guerre). Réduction de l’élevage et migration des surfaces de pâturage en surfaces de production végétale, utilisation de tous les terrains vacants, éducation des populations, tels étaient les piliers de ce plan imaginé par l’ingénieur agronome  Friederich Traugott Walhen. Le plan ne fit cependant pas l’unanimité, chaque secteur économique revendiquant la priorité sur les autres  avec ses besoins propres en main d’oeuvre mis en concurrence (armement, énergie, élevages).  Néanmoins le plan Wahlen fut un succès:  en 5 ans les surfaces cultivées passent de 183’000 hectares à 352’000 hectares, la production de pommes de terre doubla. Au milieu d’une Europe à feu et à sang, la Suisse ne souffrit pas de restrictions alimentaires. Le plan renforça la détermination de la population à conserver et à renforcer son indépendance et permit de rassurer les Suisses pendant la guerre et l’immédiat après-guerre. L’autarcie ne fut pas atteinte mais le taux d’autoapprovisionnement passa de 52 à 59% (il est aujourd’hui, malgré certaines variations, toujours à 59%).

Pourquoi parler de ça aujourd’hui, si ce n’est par intérêt historique?  Préparons nous une guerre ? Nous avons atteint (ou nous en approchons) des limites: celles de la planète d’abord (chute de la biodiversité,  changement climatique, acidification des océans, modification des cycles de l’azote, l’appauvrissement des sols, descente énergétique), celle des systèmes socio-économiques (mondialisation, attaques sur la démocratie, inégalités, dépendance aux énergies fossiles, diminution de la disponibilité alimentaire, etc.). Il semble maintenant clair que nos sociétés vont devoir faire face à des effondrements systémiques et des réactions en chaîne qui ont le potentiel de remettre en question toutes les structures économiques et sociales. L’effondrement, notion de plus en plus utilisée, peut être défini comme un « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population, par des services encadrés par la loi » Note : Cochet, Yves: l’effondrement, catabolique ou catastrophique? (2011). 

La vie que nous connaissons aujourd’hui va disparaître. Une autre ère se dessine, faite d’effondrements multiples engendrant des catastrophes multipliées, imprévisibles et irréversibles. Peu réjouissant, non ?

Est-il possible et surtout, comment faire face à de tels défis? Il n’y a pas de solutions à chercher (c’est trop tard!) mais à cultiver notre adaptation. Il y a là des mondes à inventer, de nouvelles solidarités à créer, de nouveaux liens à tisser, une sobriété, peut-être heureuse, à expérimenter (comme le dit Pierre Rabhi). La résilience est la capacité d’un système à maintenir ses principales fonctions malgré les chocs y compris au prix d’une réorganisation interne. Pour beaucoup d’auteurs, l’espoir réside dans la création de petits systèmes résilients à l’échelle locale, auto-organisés, décentralisés, transparents, fondés sur une grand cohésion sociale à petite échelle (soit exactement l’opposé de nos systèmes industriels mondialisés!)

Une des clés de la résilience de nos sociétés se situe dans la  production alimentaire de proximité. A l’exact opposé de l’agriculture industrielle du début du 20ème siècle, les petites structures permaculturelles de production requièrent très peu d’espace, peu de technologies (pas d’intrants exogènes), des outils simples et ingénieux prolongeant la main humaine, de la force musculaire. Elles n’épuisent pas les sols, bien au contraire. On complète avec du compostage, des serres pour produire en hiver, des techniques de conservation des aliments sans énergie et du petit élevage.  Ces structures ont montré leur excellent rapport coût-efficacité (comme l’a démontré l’étude de l’INRA à la ferme du Bec-Hellouin en 2015).

Allons-nous donc tous redevenir des petits paysans ? Verrons-nous nos friches industrielles (les usines auront fermés), les prairies d’élevage, nos pelouses, le moindre espace vacant se transformer en potager ? 

Alors, pouvons-nous et voulons-nous pouvoir contribuer à cette résilience qui pourrait nous permettre de survivre dans un environnement ni trop toxique ni trop injuste? Souvenons-nous des jardins de la victoire et du plan Wahlen, non pas comme un effort patriotique mais comme un effort citoyen.

A lire en complément: Hopkins, Rob: Manuel de transition: de la dépendance au pétrole à la résilience locale, 2010

Sinaï, A. (et al.): Petit traité de résilience locale, 2015

Hervé-Gruyer, Perrine et Charles: Vivre avec la terre, 2019

A consulter: www. Transitionnetwork.org

Aller aux jardins

Au début de l’hiver, écrire un papier sur l’art et la manière de visiter les jardins est un peu à contretemps… mais pourquoi ne pas prendre le temps de lever le nez du râteau à feuilles et préparer de somptueuses visites, la belle saison revenue?

Le tourisme des parcs et jardins, jardins botaniques, arboretum, conservatoires et collections est devenu un business non négligeable en terme de chiffre d’affaire. Les offices du tourisme misent aussi sur ces attractions pour attirer un public large, néophyte ou plus averti. De nombreux ouvrages consacrés exclusivement aux visites de jardins (soit un jardin en particulier ou une sélection régionale) sont publiés chaque année1. Mais à part pour trouver la verte fraîcheur au coeur des canicules, pourquoi aller visiter des jardins ? Plaisir des sens ? Connaissances botaniques ? Histoire et patrimoine ? Toilettes gratuites ? Idées à adapter chez soi ? Eblouissement esthétique ?Cafétéria et boutique souvent un peu chic ? Moment de sérénité dans un marathon touristique ? Promenade sensuelle ? De tout cela un peu, sûrement…

Et au fait, les jardins sont-ils fait pour être visités ? Question de prime abord un peu sotte mais, à bien y regarder, certains jardins, et même la plupart, n’ont pas été conçus comme des attractions publiques. Paradis privés au départ, ils sont entrés dans le patrimoine avec le temps (comme les propriétés “tombées” dans le domaine public, ainsi la majorité des parcs de châteaux ou d’abbayes, par exemple pour les plus connus en France, Versailles, Villandry ou l’abbaye de Fontenay). Certains sont suffisamment vastes et aérés et peuvent accueillir dans de bonnes conditions le public où il est possible, et même recommandé, de s’égayer (Powerscourt en Irlande, par exemple avec ses 18 hectares). D’autres lieux, je pense par exemple à Giverny ou Sissinghurst, sont des jardins intimes et ne tolèrent pas la ruée dont ils sont l’objet. Ici comme ailleurs, “l’overtourisme” est une plaie pour la conservation des jardins et pour les visiteurs (mais pas pour le tiroir-caisse!). Néanmoins, visiter Giverny est possible au printemps précoce ou en automne, à l’ouverture. Sinon, vous serez condamnés à être emporté par un flot de touristes asiatiques qui postent leurs photos en direct sur Instagram, précédés d’une guide énergique mais s’époumonant dans le vide. Vous finirez à l’inévitable boutique où peut-être, que dans un accès de naïveté touchante, vous achèterez des graines de fleurs produites à des centaines de kilomètres, assorties d’un kit de plantation venant de Chine, mais qui vous feront croire que vous allez transformer votre bout de jardin en un ineffable univers impressionniste.

L’art et la manière

Comment visiter un jardin ? Où regarder ? Comment regarder ? Faut-il connaître l’intention du concepteur et de ses successeurs ? Et d’abord, le jardin est-il “nature” ou “culture” ? Question de point de vue, mais il est clair que des exclamations comme “c’est beau!” ou “quel boulot d’entretien!” ne sont pas pertinentes pour apprécier un jardin. Il me semble important d’abord de comprendre de quel univers culturel le jardin est-il un artefact, (de plus un artefact en mouvement, selon les saisons et le temps qui passe). On s’en doute, visiter le jardin d’un temple zen au Japon n’a rien à voir avec la promenade dans Central Park! Selon le type de jardin que l’on visite, il est intéressant de se poser des questions comme : Quel est le concept général, l’intention, le style, l’époque, l’usage du jardin ? Dans quel contexte naturel/bâti/culturel/écosystémique, le jardin prend-il place ? Comment ses éléments ont-ils/vont-ils évoluer ? Quels sont les types de plantes utilisées? Comment les plantes sont-elles agencées ? Quels sont les éléments architecturaux présents? Quelles sont les lignes de force, les perspectives ? Quels effets l’eau, le vent et la lumière ont-ils sur le jardin?

Et comment se comporter dans un jardin ? Cela paraît évident, en le respectant ainsi que le travail des jardiniers, c’est à dire en cheminant sur les chemins balisés (bête à dire mais, que ne ferait-on pas pour une belle prise de vue?), en n’emportant aucune plante, ni bouture, ni même graine à moins d’en avoir l’autorisation !. Choisir la saison, voire l’heure de la journée pour jouir d’une belle lumière, est parfois difficile en voyage, et du coup, il ne faut ne pas hésiter à revenir dans les jardins aimés. Faire des croquis, photos, prendre des notes pour garder des idées, ou faire des recherches ultérieures peut être une bonne idée pour les jardiniers amateurs en quête d’inspiration et de techniques.

Et si vous avez la chance de visiter un jardin avec son propriétaire, gardez à l’esprit que c’est un peu de lui/elle-même que la personne vous offre, donc restez courtois, posez des questions (intelligentes si possible…), et appréciez, sans comparer avec votre propre jardin. Evitez aussi les commentaires du genre: “C’est quoi ces broussailles ? – Vous faites quelque chose ou ça pousse tout seul ?, – Ça je l’ai… et ça aussi je l’ai, – Moi aussi, j’en ai un, mais le mien est plus grand/beau, etc.”

Que visiter ?

Les plus beaux jardins sont, à mon sens, ceux qui expriment une idée, une ligne, un concept qui n’empêchent pas l’âme du jardin de se manifester. En nous promenant dans leurs allées, nous sommes les témoins d’une époque, d’une vision artistique, d’une ambition (de collection ou d’étalage de puissance, et en tous les cas d’une passion, parfois ruineuse). J’apprécie pour leur aspect marquant dans l’histoire des jardins, les grands jardins de châteaux, que l’Europe compte par dizaines, en particulier les jardins anglais et leurs perspectives picturales, souvent crées de toutes pièces. Les jardins à la française m’ennuient parfois par leur rigueur mais sont fascinants de maîtrise. Et certains jardins à l’italienne comme Boboli à Florence, malgré leur magnificence, me donnent l’impression de manger une pâtisserie un peu trop sucrée. Ce sont plutôt les jardins plus modestes dans leur taille, mais pas dans leurs ambitions créatrices qui m’attirent. Les jardins contemporains comme ceux de Gilles Clément (le parc André-Citroën à Paris ou le Rayol dans le Var), ou les buis incroyables de Marqueyssac en Dordogne (jardin du 18ème, mais cependant très moderne dans sa conception) ou encore le jardin Plume en Normandie rencontrent mes aspirations esthétiques. Le Domaine de la Bourdaisière (Indre et Loire) pour son potager et en particulier sa collection unique de tomates, me fait rêver. Les jardins de curés, potagers ou vergers anciens, jardins d’écrivains réveillent en moi la nostalgie de l’enfance et l’émerveillement devant la simplicité bien agencée.

Il y a des jardins pour chaque moment de la vie, celui pour se coucher au pied d’un arbre centenaire, celui pour rendre hommage à des arbres ou des plantes rares, celui pour apprendre, celui qui nous impressionne par sa majesté et sa grandeur, celui qui nous fait découvrir des perspectives inattendues, celui qui nous stupéfie en exprimant la collectionnite du propriétaire, celui que l’on visite en hiver, celui qui sert de décor aux photos de mariage, celui qui nous rend jaloux, celui qui sert de cadre à un pique-nique, celui qui nous révèle l’intime de son propriétaire. Je ne parle pas ici de certains jardins chichiteux, conçus par des designers pour de fortunés propriétaires, et qui ne font pas illusion bien longtemps. Rien qu’en France, 20’000 jardins sont inscrits à la liste française “des parcs et jardins protégés au titre des monuments historiques”. Le label “Jardin remarquable” rassemble 443 jardins de propriétaires primés pour leur intérêt esthétique ou botanique et qui sont ouverts au public au moins 50 jours par année. Pour les “voyageurs de jardins”, le Royaume-Uni, est une source inépuisable de découvertes, mais n’oublions pas les autres pays européens. Le Japon, les Etats-Unis, l’Asie continentale possèdent aussi de forts beaux parcs et jardins, bref, ce n’est pas le choix qui manque.

Alors on va aux jardins ?


Lectures complémentaires: Alessandro Natali: Guide des jardins remarquables, 55 parcs et jardins de Suisse romande et France voisine, éd. Nicolas Junod, 2017.

Louisa Jones : L’art de visiter un jardin, Actes Sud, 2008

Umberto Pasti/ Pierre Le-Tan : Jardins: les vrais et les autres, Flammarion, 2011

Alain Baraton : Dictionnaire amoureux des jardins, Plon 2012

  1. Les plus beaux parcs et jardins de France, publié par les Guides Michelin ou encore Jardins de jardiniers, publié par Phaidon, et qui offre une sélection mondiale[]

De la désobéissance au jardin

Ces temps, on parle beaucoup de désobéissance civile, ce qui n’est pas pour me déplaire! Je vais relire Thoreau1, quand il fera trop moche dehors, mais l’anarchiste qui sommeille en moi (si! si!) se réjouit de voir des jeunes bloquer la circulation ou occuper les locaux d’une banque ou d’une assurance pour alerter sur l’urgence climatique. Des gens courageux ont brûlé des McDo, manifesté lorsque cela était interdit, fauché des champs en culture OGM, se sont interposés entre baleines et canons, ont accueilli chez eux des personnes “illégales”… Rappelez-vous Mandela, Rosa Parks, Aaron Swarz 2, Gandhi, voyez les manifestants de Hong Kong, les lanceurs d’alerte. Si, en plus, il y a une dose d’humour, alors là, je jubile franchement!

La désobéissance civile est un devoir moral quand la cause le justifie, elle est un moyen de protestation ultime (même) au sein d’une démocratie, si elle est non-violente, publique et que ses auteurs en acceptent les conséquences. Elle est la légitimité contre la légalité. Déranger, alerter, s’exprimer avec les moyens du bord, cela me paraît être la plupart du temps “du côté de la vie”.

C’est quoi le rapport avec le jardin, me direz-vous ? Au jardin, il est aussi intéressant de se poser la question de la désobéissance, qui, par essence, implique qu’il y aie, au préalable, de l’obéissance. Et en effet, combien de règles, d’usages, d’atavismes, de traditions et d’habitudes ? Arbres taillés, potagers désherbés, gazon tondu, feuilles à l’automne ratissées, légumes associés, couleurs et textures arrangées dans un massif de fleurs ! J’apprécie certes, le bel agencement dans un jardin mais, toutes les règles sont faites pour être transgressées au moins de temps en temps: ça nous rafraîchit un peu et ça ne fera certainement pas de mal à la nature, qui se portera bien mieux si on lui foutait un peu la paix! Se laisser aller à la transgression nous ramènera, le jardin et le jardinier, du côté de la vie.

Je ne veux pas ici vous donner les règles de la désobéissance, ce serait un paradoxe parfait, mais vous inviter à être un peu paresseux, un peu créatifs, ou encore à vous poser la question: qu’est ce qui se passerait si je ne faisais pas ce que j’avais prévu de faire ? ou si je faisais différemment? Bien sûr, parfois on se plante, et alors ? Il s’agit d’apprendre à apprendre et à désapprendre avec jubilation, à créer son propre modèle adapté à son environnement particulier, en dehors des conventions et des habitudes.

En dehors de son propre jardin, on peut désobéir en colonisant par la culture des espaces délaissés ou non entretenus ni jardinés3, recycler des végétaux, récupérer du matériel inutilisé par d’autres, échanger des graines. On peut lancer des bombes de graines (“guerilla gardening”4), créer des espaces collectifs, c’est aussi de la désobéissance!!

La désobéissance fertile5 est une jolie expression certes, mais qui nous invite à sortir de notre zone de confort et à faire confiance à nos intuitions et surtout à la nature. Qui sait ce qui se passera alors?

Recette pour bomber des graines: Mélanger des graines de fleurs avec de la terre argileuse humide. Former des boulettes de la taille d’une balle de ping-pong. Laisser sécher. Lancer dans des espaces en friche, en poussant un grand cri de joie !

Pour terminer, je ne saurai trop vous recommander la lecture du “Petit traité du jardin punk” de Eric Lenoir, Terre vivante, 2019

  1. La désobéissance civile, 1849[]
  2. militant pour la liberté sur le net[]
  3. par exemple, terrains vagues, fossés, talus, friches, etc. []
  4. http://guerilla-gardening-france.fr[]
  5. Vocable que j’emprunte à un collectif qui a pour objectif de récupérer terres et forêts pour les placer en “communs” ou en projets écologiques – https://desobeissancefertile.com/ []

Planter des pivoines

Les pivoines sont des plantes magnifiques et faciles à cultiver. Le choix de variétés est immense: les herbacées, qui poussent en tiges depuis le sol et les arbustives, qui s’élèvent en arbustes de 1 à 2 mètres. Les herbacées, comme les plantes vivaces, disparaissent dans le sol en hiver pour renaître au printemps, tandis que les arbustives perdent leur feuillage en automne.

Outre leurs floraisons somptueuses, mais relativement courtes, entre avril et mi-juin, les feuillages, qui se tiennent bien jusqu’à l’automne, structurent agréablement un massif.

On trouve facilement des pivoines en pot dans les jardineries. Cependant, si vous souffrez d’une passion pour ces belles et que vous cherchez des variétés moins communes, il sera nécéssaire d’aller visiter un producteur ou une pépinière spécialisée (voir nos adresses). ll faut compter une vingtaine de francs pour une herbacée et une cinquantaine pour une arbustive. Les hybrides sont plus coûteuses, bien sûr.

Le moment déterminant pour la réussite de vos pivoines est la plantation. Si celle-ci est bien faite, il y a de fortes chances que la belle se plaise et habite chez vous pour 50 à 100 ans. La plantation à racines nues permet de bien contrôler cette étape. Voyez la petite vidéo ci-dessous, réalisée au retour de la pépinière Rivière à Crest:

video

Outre la technique de plantation, le choix de l’emplacement est capital: les pivoines se plairont dans un endroit ensoleillé à l’abri des vents dominants. Elles supportent très bien les froids vifs et les gelées même importantes. Sous nos latitudes, l’idéal est une exposition ouest pour éviter les rayons de soleil tôt le matin en cas de gelées (dégel trop rapide). Le plus important est le sol qui doit être frais, bien drainé, et pas trop lourd.

L’entretien au long cours est très simple : les deux premières années après la plantation, arroser une fois par semaine en période sèche. Par la suite, arroser avant et après la floraison, si le sol est très sec. Désherber le pied de temps à autre permet à la plante d’absorber les pluies sans risque de stagnation d’humidité. Le besoin des pivoines en engrais est modeste : un apport d’engrais organique deux fois par année est largement suffisant. Ajoutez un peu de cendre froide au pied de temps en temps et le tour est joué! On ne taille pas les arbustives, il faut simplement ôter les fleurs fanées. Les herbacées sont simplement rabattues à 10 cm mi-octobre. Franchement, la pivoine est généreuse et peu exigeante, idéale pour un jardinier contemplatif !

Trop chou…

A l’approche de la fin de l’automne, on compte ses amis, ceux qui seront présents les mauvais jours, ceux sur qui on peut compter quand le moral est en berne et le frigo vide. Ceux-là qui seront consolation et réconfort, ceux-là qui nous réuniront autour de la table. Et là, je convoque la courge, la pomme de terre, le poireau et celui que l’on méprise parfois pour de viles raisons: le chou.

Tellement banal, qu’un petit hommage laudateur lui fera justice. Fort d’une trentaine de variétés (cabus, rouge, Broccoli, fleur, Daubenton, Pékin, rave, romanesco, kale, Milan, Kerguelen, crambe, Bruxelles…), le chou (Brassica oleracea) nous régale au long de la saison froide d’innombrables et admirables manières. Le chou est sans doute l’une des premières plantes domestiquée par l’homme, à partir du chou sauvage des côtes l’Atlantique et de l’Europe du Nord. Cette plante, généralement bisannuelle, dont on peut consommer les feuilles ou la tête (la pomme) possède à tort une image de nourriture pauvre et peu raffinée, probablement parce que, du fait de son rendement, de ses capacités de conservation, elle a été une source calorique importante pour les populations paysannes, en complément des céréales.

Aujourd’hui cultivé dans des conditions industrielles, il peut produire jusqu’à 160’000 kilos à l’hectare. Aliment santé, comme on aime le dire ces temps, le kale a fait les choux gras de quelques gourous de l’alimentation saine. Mais franchement, le smoothie de chou kale, ça ne vous réveille pas un mort, mais l’envie pressante de filer dans la chaleur bruyante d’une brasserie alsacienne vous taper une royale accompagnée d’un Gewurztraminer bien frais. Bon à part ça, il est vrai que les choux (avec x) renferment beaucoup d’éléments nutritifs (sels minéraux, vitamines B et C et même des agents anti-cancéreux). Cuit ou en salade, il fait partie des traditions culinaires de bien des pays de l’hémisphère nord: pensons au chou farci des pays slaves, au cole-slaw anglo-saxon, à la choucroute alsacienne et germanique et bien sûr, notre saucisse aux choux! On n’oubliera pas la soupe aux choux, (on devrait plutôt dire les soupes au choux, tant elles sont variées) emblème réconfortant de la cuisine familiale, mais aussi de régimes et de flatulences annoncées. A ce propos, c’est la décomposition des choux  dans le système digestif qui provoque la formation de gaz intestinaux très gênants, en particulier en séance de travail ou lors d’une sieste coquine… Ajouter quelques graines de fenouil ou de cumin à l’eau de cuisson, paraît-il, permet de réduire ces inconvénients odorants.

Savez-vous planter des choux ? Dans un petit potager, il est vrai qu’il prend pas mal de place, mais quelle joie de voir ses larges feuilles s’élancer vers le ciel et les petites pommes du chou fleur, par exemple naître et grossir. Le chou cabus (celui de la choucroute), ne saurait manquer à aucun jardin, tant il est dense et nutritif. De culture assez simple, si l’on prend garde à quelques éléments: d’abord les choux n’aiment pas le sec, donc attention à l’arrosage, en particulier en début de culture. Ils ont besoin d’un sol riche, bien fumé et bien drainé. Gourmands en azote, ils profiterons de venir après des haricots. La distance de plantation est de l’ordre de 40×50 cm, voire un peu plus (moi j’aime bien serrer), en situation ensoleillée. On peut mettre des salades en culture intercalaire et l’associer au céleri, à la laitue, aux betteraves aux tomates. En revanche, on fera chou blanc, si on lui impose la compagnie du fenouil, des navets ou des radis. Idéalement, une rotation de 3 ou 4 ans est bénéfique. Il faut en outre prendre garde à la mouche du chou, à la piéride (papillon jaune très clair) et bien sûr aux limaces. On récolte les choux au fur et à mesure des besoins avant les grandes gelées, plutôt par temps sec et on les conservera en cave. Les cabus seront lacto-fermentés (voir recette plus bas) et régaleront les amis autour d’une choucroute, mais sans se prendre le chou, hein ? Et encore: le chou rouge cuit avec des châtaignes, accompagnera un plat de chasse. Le chou fleur en salade avec quelques cornichons et des oeufs durs émiettés.. bref il n’y a que l’embarras du chou, euh… du choix, pour consommer la divine brassicacée en réécoutant, par exemple, Gainsbourg et son “Homme à la tête de choux” !

Faire sa choucroute: Utiliser des choux cabus en enlevant les feuilles extérieures abimées et gardant le trognon. Couper en fines lamelles ou râper dans un grand saladier. Ajouter 10 gr. de gros sel par kilo de chou. Brasser et presser avec les mains en exprimant le jus du chou. Au bout de 20-30 minutes, mettre en bocal, en terminant par deux ou trois feuilles et le trognon (qui serviront à maintenir les choux dans le jus). Fermer et laisser fermenter 3 semaines avant de déguster. Bête comme chou, non ?

L’éthique au jardin

Il est bon, parfois, de relever le nez de ses plates-bandes et d’envisager ce que l’éthique peut nous apporter, à nous jardiniers. 

Allons donc faire un tour du côté de l’éthique du “care”. Cette éthique pensée par Carol Gilligan dans les années 80, était à l’origine réfléchie pour le domaine des soins, de la dépendance, puis développée autour des questions de genre, de l’éthique des affaires, de la gestion des ressources humaines, etc.  

En envisageant notre rapport à la vulnérabilité, à la fragilité ponctuelle ou permanente, à l’interdépendance, qui sont des conditions ontologiques de l’existence humaine, l’éthique du « care » remet en question  l’utilitarisme économique et  l’idéal d’indépendance. Ce faisant, elle propose un modèle basé sur l’attention à l’autre, la responsabilité, la confiance et l’altruisme. Dans cette perspective, soi et les autres ne sont pas séparés, mais rassemblés dans un entrelacs de relations et de co-responsabilités.

On perçoit déjà ici que cette vision systémique  peut nous amener à réfléchir notre relation collective et individuelle au vivant non-humain, et à la nature dans son ensemble. Si l’on exclut les mouvements qui prônent le retour à une nature sauvage (wilderness), l’éthique du « care » a beaucoup à apporter à ceux qui se questionnent sur la relation humain-nature. En effet, en mettant au centre l’interdépendance au sein du vivant -notion complètement niée par nos sociétés contemporaines-, l’éthique du « care », met en lumière  notre nécéssaire attention et notre responsabilité collective vis-à-vis de la vulnérabilité des écosystèmes, de l’air, de l’eau, de la biodiversité, etc. 

Notre terre étant devenue fragile, à force de cupidité, l’éthique du « care », initialement pensée dans un contexte individuel ou collectif à petite échelle,  fournit de nouveaux éléments pertinents de réflexion sur notre relation à cette vulnérabilité et à la nôtre en tant qu’individus, parties prenantes de ce sytème. 

Il est évident que si nous percevons la nature comme un « non-moi » à disposition de nos besoins, il nous sera difficile d’adopter une posture de responsabilité vis à vis d’elle. On peut tenter de résoudre cette difficulté par l’attention que nous portons vis-à-vis du bien-être des générations futures, ou la souffrance humaine lors de catastrophes liées au climat, à la modification d’un paysage, etc. 

Le « care » « à distance » dans le temps et l’espace,  peut-il motiver les individus à modifier leurs comportements environnementaux ? Peut-il nous aider à tourner le guidon et adopter des attitudes plus responsables et vertueuses ?  De nombreuses recherches en psychologie sociale tentent de répondre à la question de la motivation au changement dans le contexte de crise climatique et des réponses intéressantes sont émises. Par ailleurs, le travail est aussi individuel, dans le sens de la bienveillance à soi-même, au pardon, à l’expression de l’impuissance et de la colère, de la peur, de la peine, (etc.) afin de sortir du déni et des stratégies de protection et entrer dans une dynamique de sollicitude vis à vis de la vulnérabilité de la nature  (voir à ce propos les apports de l’écopsychologie).

L’éthique du « care » qui est une éthique de l’action, distingue 4 phases intimement liées : 

  1. Caring about: constater l’existence d’un besoin et évaluer la possibilité d’y apporter un soulagement direct ou indirect. L’élément éthique est ici l’attention
  2. Taking care of: reconnaître une certaine responsabilité et  déterminer la réponse à apporter. L’élément éthique est la responsabilité
  3. Care-giving:  effectuer un travail effectif de soin qui vise à réduire la souffrance. L’élément éthique ici est la compétence
  4. Care-receiving: reconnaître que le « sujet » de la sollicitude réagit au soin et qu’il possède la capacité à le recevoir. Il s’agit donc de prendre le feed-back de nos actions. Et la boucle recommence au début.

Amis jardiniers, tout cela vous dit quelque chose, bien sûr. Quand vous irez le soir arroser quelques fleurs ou salades assoiffées, enlever quelque herbes indésirables, rappelez-vous de l’éthique du « care ». 

Mais rappelons-nous surtout que le monde ne s’arrête pas à la clôture du jardin et qu’il nous appartient d’exercer notre responsabilité bienveillante sur notre environnement.  


Bibliographie

GILLIGAN C. [1982], Une voix différente, 2008, Paris, coll. « Champs Essais », Flammarion.

LAUGIER S. [2012], Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, coll. « Petite Bibliothèque Payot », Payot et Rivages

TRONTO J. C. [1993], Un monde vulnérable : pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009.

Ça va le bocal ?

Le plastique c’est fantastique, disait-on dans les joyeuses années 60. Le congélateur, c’est encore meilleur, bref pour conserver les produits du verger et du potager, rien de mieux. Mais le vent a tourné, les océans sont des mares de plastique et le bocal en verre fait un retour fracassant (surtout quand on le lâche…) dans nos contemporaines cuisines. Et pourtant quelle histoire !

Conserver les récoltes, ne pas souffrir de la faim et ne pas s’empoisonner ont été des préoccupations séculaires pour les humains: salaisons, saumure, conservation dans le sucre ou le vinaigre, fermentation, dessiccation à l’air ou au feu, fumage, beaucoup de solutions ont été utilisées pour garder les aliments. La stérilisation et la mise en conserves sont nées au 19ème siècle après des inventions et découvertes successives de Nicolas Appert, Denis Papin et bien sûr Louis Pasteur. La firme allemande Weck fondée à la fin du 19ème, introduit les fameux bocaux à l’emblème de la fraise et permet la stérilisation du lait, la conservation “en l’état” de fruits, de légumes et de viandes, ce qui révolutionne l’alimentation.

En Suisse, la firme Glashütte Bülach (ZH) est née en 1891 mais c’est juste après la première guerre mondiale, quand la pénurie de bocaux Weck se fait sentir, que le Conseil fédéral d’alors ordonne la fabrication suisse de “bouteille à cuire” à Bülach. Lancée en 1920, la bouteille est close par un bouchon en porcelaine et un élastique en caoutchouc. Le célèbre bouchon en verre avec son étrier en acier, ainsi que le verre vert qui fait la notoriété de la marque sortent en 1924. D’ailleurs, cette couleur si reconnaissable, synonyme de qualité, est due à un manque de matières premières. La firme fait une promotion efficace de son bocal, si bien qu’on trouve dans toutes les cuisines helvétiques.

Pendant la seconde guerre mondiale, les usines de Bülach tournent à fond et proposent des innovations avec de nouveaux diamètres de cols, de nouveaux formats. Avec l’invasion du plastique et l’introduction du congélateur dans presque tous les foyers, la production chute, si bien que la verrerie Bülach ferme en 1972. Associée au groupe Vetropak depuis 1917, (issu lui des verreries de St-Prex), elle est complément démantelée en 2002. Le groupe Vetropack est aujourd’hui l’un des principaux fabricants de verre d’emballage en Europe. Il emploie plus de 3 000 personnes et exploite huit usines de verre en Suisse et en Europe. Pour poursuivre l’histoire, sachez encore que le site de l’usine zurichoise est en pleine reconversion et que, en 2023, un quartier baptisé “Glasi” de 560 appartements et 20’000 m2 d’espace commerciaux verra le jour. Je ne sais pas encore si des parcelles de potager sont au programme…On pourrait ainsi boucler la boucle en quelque sorte.

L’usine de Bülach avec devant les parcelles de potagers pour les ouvriers (1924),
source: buelachansichtskarten.ch

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Aujourd’hui, le bocal en verre, symbole impeccable de transparence et de vertu écologique fait son grand retour. Les aficionados du zero-waste, du fait-maison, de la lacto-fermentation, de la stérilisation sont de plus en plus nombreux. Les achats en vrac, les plats servis en bocal, l’esthétique vintage, tout y est pour créer un trend. L’allemand Weck, l’américain Ball Mason Jar et le français Le Parfait se partagent un marché en pleine expansion et notre joli bocal national a disparu au point de devenir en quelques années introuvable même dans les brocantes… Je me souviens des étagères de la cave de ma grand-mère où étaient alignés bocaux de légumes et de fruits, bouteilles de sauce tomates et confitures, promesses de délices à venir. Certain-es se rappellent d’en avoir balancé dans les bennes à verre de la déchèterie, faute de leur trouver un usage. Quel drame !

bocaux Bülach
Bocaux, 1948 (musée suisse du design Zürich)

Aujourd’hui, je conserve en bocaux une partie de la production de mon potager pour en retrouver les saveurs en plein mois de février. Le congélateur est nettement moins poétique, plus électrique et j’adore voir ces rangées rassurantes de bocaux. Ouvrir un bocal en tirant la languette de caoutchouc et d’entendre le petit pfuit de l’air a quelque chose d’immémorial (même si ce n’est qu’un siècle…).

Bon, vous l’avez compris, si vous avez des bocaux Bülach dont vous ne savez que faire, faites-moi signe !!

Source: buelachansichtskarten.ch

Hortus conclusus

Un jardin est clos, sinon ce n’est pas un jardin. Au Moyen-Age, si important pour l’histoire des jardins occidentaux, le jardin clos reflète une image paradisiaque ou encore celle de la vierge Marie dans le sens de l’espace pur et inviolé (et inviolable). Les jardins des cloîtres monastiques et jardins des simples sont toujours fermés et ordonnancés selon des règles bien établies. L’agencement y est strict, les plantes sont ordonnées et limités par des plates-bandes en plessis ou en bois, puis par des buis : L’Herbularius ou liste de Charlemagne (fin 8ème siècle) dresse la liste des plantes obligatoires dans un jardin, tandis que les livre d’heures comme les “Très riches heures du Duc de Berry” (15ème siècle) nous montrent les travaux agricoles.

Le jardin est donc d’abord un lieu fermé, protégé du monde et du regard extérieur, on pourrait presque dire un lieu pudique. Le Cantique des cantiques qui se déroule dans un jardin et désigne aussi la bien-aimée comme un jardin, dit : “Tu es toute belle mon amie, et il n’y a pas de taches en toi… Tu es un jardin clos, ma soeur, mon épouse, un jardin clos, une fontaine scellée” 4,7-12. Cette clôture est une allusion claire à la virginité de l’épouse. Puis: “J’entre dans mon jardin” au verset 5,1.: le jardin appartient à quelqu’un. Il n’est pas question ici de féminisme, mais de tradition spirituelle.

La clôture au jardin est sans doute fondamentale pour s’y sentir libre et en sécurité, comme les bras du parent sont nécéssaire à la consolation et à la croissance de l’enfant. La limite sert aussi de repoussoir à l’intrus, le mal, le violeur, le sauvage qui pourrait souiller le jardin. D’un point de vue esthétique aussi, les séparations structurent le paysage, lui donnent un rythme et apaisent le regard. Si, aujourd’hui, il nous semble naturel de délimiter la propriété, il n’en pas toujours été ainsi: Le mouvement des “Enclosures” en Angleterre au 16ème siècle a profondément changé le paysage agricole et social. Avant, les champs étaient ouverts et communs, cultivés par la communauté qui bénéficiait du droit d’usage. Sans cadastre, les terres ont été accaparées par les potentats locaux, ceintes de haies vives ou bocagères (qui bien sûr remplissent aussi de nombreuses fonctions environnementales) pour en matérialiser les frontières. De pauvres hères se sont révoltés contre la mainmise des riches sur les terres et l’appauvrissement des populations. Mais le mouvement des enclosures était inéluctable et annonciateur du capitalisme dans le sens de la possession de l’outil de production par un très petit nombre de personnes. Le droit de propriété est consacré dans la “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen” lors de la Révolution française. Les théoriciens et les communautés anarchistes du 19ème siècle ont tenté, sans succès, un baroud d’honneur désespéré contre la notion de propriété.

Aujourd’hui, dans nos espaces pavillonnaires, le patrimoine immobilier est presque toujours clos par d’affreuses barrières en treillis métalliques, par des haies de tuyas, de laurelles aussi stériles qu’esthétiquement dégradantes, plus symboliques que réellement défensives. Il n’y manque que le mirador… J’ai déjà écrit là-dessus, je n’y reviens pas. Mais, ces enceintes assurent-elles aux propriétaires un sentiment de sécurité? ou la démonstration publique de son emprise sur son bout de territoire chèrement acquis ? Visent-t-elles à protéger de l’intrus ou à interdire la sortie à ceux qui vivent à l’intérieur de la forteresse ? On peut aussi y déceler la confiance (ou le manque de confiance) vis-à-vis de ses voisins et de l’environnement en général. Par ailleurs, ces clôtures étanches posent des problèmes de fragmentation écologique suivant leur imperméabilité au passage de la faune, par exemple.

A l’heure où les puissants de ce monde construisent des murs un peu partout sur la planète pour se protéger des “invasions barbares”, il apparaît que l’homme a bien du mal avec le non-fini, avec l’échange, avec le différent, ou l’indifférencié, avec enfin la liberté. Dans ce sens, la clôture marque la différence spatiale entre la fin de quelque chose (de connu) et le début d’autre chose (d’inconnu). On retrouve dans le mur le clivage Oui/Non si confortable à nos âmes occidentales. L’espoir cependant nous vient d’Allemagne, nation qui a une lourde histoire avec les barbelés, où l’on célèbre cette année le 30ème anniversaire de la chute du Mur de Berlin. J’y vois une résistance rafraîchissante contre les murs, les frontières, contre tout ce qui nous sépare de nous-mêmes et des autres, quels qu’ils soient.

Plantons donc joyeusement des haies (vives de préférences) et franchissons-les pour aller saluer le vaste monde! Sachons aussi nous replier parfois dans notre (jardin) intérieur…

Note: l’illustration en tête de ce billet est due à un Maître du Haut-Rhin non-identifié et représente la Vierge au paradis, vers 1410.

Gazon maudit

Et pelouses honnies! Je n’ai pas encore digéré la défaite mortifiante de notre Roger national sur le gazon de Wimbledon dimanche passé. Mais, malgré tout, je pardonne au gazon britannique grâce aux 8 autres victoires de Federer sur cette surface. Et j’adore aussi les fraises et le champagne.. mais pas ensemble !

Tentons quand même d’élargir le propos: Quelle est cette passion des homo sapiens pour les pelouses? D’où vient ce goût immodéré du vert rasé au millimètre ? On pourrait résumer en disant : rage guerrière, orgueil capitaliste et conformiste dépitant.

Il semble en effet que les premières pelouses, c’est à dire un espace d’herbe rase sans culture, soient nées de la peur de l’envahisseur. Au Moyen-Age, le seigneur en son château, appréciait de voir l’ennemi arriver au loin dans un panache de poussière, afin de préparer balistes et trébuchets pour assassiner en règle. Bon prince, quand il était pas en guerre contre ses voisins, il laissait ses prés à ses serfs, pour le bétail, qui en broutant, leur confère cet aspect ras (tondeuse et grandeur d’âme chrétienne réunies). Le mot pelouse vient d’ailleurs du latin “pilosus” et signifie “poilu”, sans doute pour rappeler la barbe ou autre pilosité. Le rasage, oeuvre civilisatrice, chez l’homme et la pelouse, repousse loin dans l’inconscient, le sauvage en nous. La pelouse, c’est en quelque sorte l’anti-forêt, un espace rassurant et maîtrisé ou l’homme ne risque rien, ni attaques de loups-garous ni agressions d’autres tribus, ni sa propre sauvagerie.

Dans les jardins du château de Versailles, conçus par André Le Nôtre, la grande allée du Roi est un espace gigantesque d’herbe tondue qui met en valeur la perspective et le château. Cette première pelouse d’apparat, tondue à la faux, par des armées de serviteurs, pour qui la garden party n’était même pas un concept, a certainement été source d’inspiration pour de nombreux autres jardins à la française. Cette étendue vierge de cultures est l’image même du pouvoir absolu du roi sur ses sujets, tondus par l’impôt et indistincts comme les brins d’herbe du gazon. Le jardinier de banlieue d’aujourd’hui ressent certainement sa propre royauté en dirigeant fièrement sa tondeuse autotractée ou mieux, juché sur son tracteur. Quoiqu’aujourd’hui on laisse faire cette tâche aux robots de tonte, esclaves mécaniques presque silencieux (et c’est là leur seul avantage) sans plaintes ni maux de dos.

Au 18ème, le jardin à la française se meurt, le style va cependant rapidement évoluer vers le jardin à l’anglaise fait de perspectives imaginées-imaginaires, créatrices de paysages. La pelouse prend le rôle de faire-valoir, car elle permet de créer et mettre en valeur des “vues” avec des bosquets, rivières et étangs ou de fausses ruines. Des vaches paissant complétant le paisible et romantique tableau. Outre du bétail, les aristocratiques anglais du 18-19ème employaient nombre jardiniers pour l’entretien de ces “faux paysages”. La pelouse est un signe extérieur de richesse qui affirme le fort capital économique de son propriétaire, qui n’est donc pas un paysan (oh, que non!), qui n’a pas besoin de rentabiliser son territoire et peut, entre deux réunions à la chambre des Lords, se plonger dans la contemplation métaphysique de la nature ou de l’évolution des cours de la bourse.

Avec l’arrivée des premières tondeuses mécaniques au milieu du 19ème siècle, l’Amérique s’empare de cette esthétique rassurante. L’après-guerre est la consécration de la mise en scène du confort économique du propriétaire de villa (automobile, machine à laver, etc.), à grand renforts de produits chimiques, car ce maudit gazon, stérile pour la biodiversité, ne pousse que si on le nourrit. L’étalement urbain, l’amélioration des niveaux de vie, le vieillissement de la population et l’augmentation du pouvoir économique des pays émergents promettent de beaux jours aux pelouses uniformes. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de l’entretien des gazons aux USA pèse 8 milliards de dollars, ce n’est pas négligeable et l’avenir est souriant. Regardez les publicités pour les semences, engrais ou tondeuses : elles promettent la félicité familiale dans un décor privatisé de golf, bordé de sages massifs floraux, un barbecue en fond, des enfants radieux jouant au ballon avec papa. C’est l’ennui incarné…

Une autre voie est possible, plus apaisée, moins pétaradante, plus variée, moins sage… mais aussi plus difficile: la praire fleurie, nouveau graal des bobos écolos (ce qui dans ma bouche n’est pas une injure, croyez-le!) et des nostalgiques des champs de leur enfance. La désaccoutumance au gazon passe par l’abandon des produits phytosanitaires, puis de l’arrosage automatique, la pratique du mulching, puis du grand saut vers la prairie fleurie, qui croyez-moi, n’est pas simple à obtenir. Nos terres, trop riches, doivent être mises au régime, il faut faucher 3-4 fois dans la saison, à la faux, ou à la débroussailleuse assourdissante, et alors, que faire de toute cette herbe qui arrive d’un coup ? Bref, joyeux sacerdoce en perspective, mais ô combien gratifiant, quand oiseaux, insectes, abeilles bien sûr, s’y installent complétant un tableau multicolore.

Si le tournoi de tennis de Wimbledon se jouait au milieu de coquelicots, scabieuses, sauges, esparcettes ou campanules, les jardiniers du All England Lawn Tennis Club, n’auraient sans doute pas moins de travail, ni d’angoisses. Mais moi, j’imagine la chemise impeccablement blanche de Roger Federer au milieu d’un champ multicolore d’ou l’on verrait émerger des services gagnants et reprises de volée majestueuses.

La belle amélanche

Un matin de juillet, la récolte, à la fraîche, des amélanches, est l’occasion d’une méditation sur la modestie et la promesse d’une tarte partagée ou de confitures goûteuses. L’amélanchier, voilà bien un hôte du jardin qui nous ravit en toutes saisons ! En avril, sa floraison précoce et abondante, en forme de petites étoiles blanches, annonce l’installation du printemps. Elle a l’élégance de ne pas s’attarder, forçant les laudateurs à s’arrêter pour l’admirer, avant qu’elle ne s’envole.

Puis début juillet, une luxuriance de petits fruits rouges violacés à la chair pâle, de la taille de petites myrtilles et au goût très sucré, ravit à la fois les oiseaux et les jardiniers qui se pressent tous deux pour en saisir les délices. Menues les amélanches, mais suaves, plantureuses… Vous en ferez des crèmes brûlées, clafoutis, tartes, confiture, à l’identique que avec des myrtilles ou autres petits fruits estivaux.

Et enfin, à l’automne, l’arbre se pare d’une flamboyante pourpre cuivrée pour un spectacle d’été indien. Nous ne sommes pas au Québec, mais parmi les arbres de nos jardins qui enchantent le mois octobre, l’amélanchier tient le beau rôle.

Pour profiter des dons de l’amélanchier, on peut le planter comme élément de haie vive ou, encore mieux, en sujet isolé ou devant des conifères par exemple. Pas pressé, il est idéal pour les petits jardins, car on peut le tailler raisonnablement. Si on lui laisse toutes les libertés, il peut aller jusqu’à 3-5 mètres. Il supporte les températures très froides mais n’aime pas trop la sécheresse quand elle dure (le bon réflexe: maintenir sa base au frais avec un paillage ou de la végétation peu taillée). La plupart des espèces sont originaires de l’Amérique du Nord et d’Asie, d’Europe pour une seule espèce (A. ovalis). Le plus répandu dans les jardineries est A. lamarckii, originaire du Canada, et ses amélanches sont tout aussi belles.

La belle amélanche est-elle sur le point de conquérir votre coeur ?

Espace mental d’espérance

Telle est la définition du jardin selon Gilles Clément. Je suis tellement (souligné 3 fois) en accord avec lui. En vrai, je suis presque toujours en accord avec lui, celles et ceux qui me lisent le savent…

Mais allons un brin plus loin : cet espace mental, quel est-il ? C’est celui du désir qui guide la main du jardinier et de la jardinière, le désir de voir pousser cette plante que je sème, de croître ces arbres de perspective, de voir prospérer ces légumes, de voir s’installer les, peu poétiquement désignés, auxiliaires du jardin. Il s’agit de créer un paysage issu d’une rencontre entre un environnement donné, un contexte, et un imaginaire bien souvent culturellement influencé, les trois dans un incessant mouvement de recherche d’équilibre.

Dans mes rencontres et dialogues avec des jardiniers amateurs comme moi, je constate souvent la profondeur du fossé entre le désir, l’espérance et la réalité vécue. “Mon jardin, c’est une cata…tous mes légumes ont été bouffés par les limaces… j’arrive pas à faire pousser des carottes, mon gazon est plein de mousse et de mauvaises herbes, mes cerises sont habitées”…, et tant d’autres espérances déçues.

Mais rassurez-vous, amis jardiniers, le syndrome “Power Point” contre-attaque! Vous avez vu ces interpellations sur internet? 3 choses à savoir pour cultiver la salade, 5 pièges à éviter pour de belles tomates, 4 engrais naturels indispensables, etc… C’est la liste à puces de nos désirs, celle qui simplifie le monde, celle qui vous fait croire que vous allez réussir à tous les coups en suivant des recettes éprouvées (5 trucs de grand-mère pour… !!). Il n’y pas que la jardinage qui est atteint du syndrome : 4 mois pour courir la marathon, 10 trucs pour réussir le bac, ranger vos armoires une fois pour toutes, et bien sûr le top du top: un mois pour perdre 10 kilos!

On économise ainsi notre temps d’intelligence et nos efforts. C’est l’inflation de la simplexification (c’est à dire de rendre simple ce qui est complexe: Une chose simplexe est une “chose complexe dont on a déconstruit la complexité que l’on sait expliquer de manière simple” , Edgar Morin). On la voit à l’oeuvre dans les bouquins de jardinage aussi: “Le potager du paresseux”, “Simplissime, le jardinage”, “Le jardin facile”, etc. Ces livres ont peut-être le mérite d’encourager les débutants à se saisir de la pelle et du rateau, au risque de leur faire croire que tout est simple et facile et de les exposer à de cruelles désillusions. Le risque aussi est celui de faire de gros dégâts dans la nature de leur jardin. Si, pour finir, découragés, ils abandonnent leurs efforts, la nature a toutes les chances de se recréer en liberté, ce qui est d’une ironie qui ne me déplaît pas…

Le jardin, s’il est d’abord un espace mental, comme le dit Gilles Clément, est aussi un lieu d’observation respectueuse, un lieu de connaissance, un lieu, bien sûr, de travail parfois méticuleux parfois physiquement pénible… toujours humble. La capacité a être surpris, la patience, le lâcher-prise, l’adaptation, la propension à expérimenter sans vouloir réussir à tous les coups, sont les qualités fondamentales des jardiniers qui veulent transformer avec douceur et respect le paysage de leur jardin pour qu’il rencontre leur paysage mental espéré.


Terre des femmes

A quelques jours de la grève des femmes suisses, il me semble opportun de parler un peu du rôle des femmes dans la production alimentaire de proximité. Dans nos contrées, il y a  encore quelques dizaines d’années, pas de maison de village, de ferme sans son jardin potager. Je me souviens de celui de ma grand-mère, tiré au cordeau, bordé de fleurs annuelles, qui assurait les légumes pour toute l’année. Je la revois biner, sarcler, faire la chasse aux limaces qu’elle lançait d’un geste alerte dans le poulailler. Les poules faisaient alors office de compost. Produire et conserver, était indispensable à l’équilibre économique familial. Bocaux de fruits et légumes stérilisés, bouteilles de sauce tomates, confitures,  remplissaient les étagères à la cave, avec les pommes et les pommes de terre de conservation. J’adorais cette odeur terreuse de cave… perspective de festins dominicaux sains et roboratifs! L’arrivée du grand congélateur-bahut au début des années 70, installé dans cette même cave, a été une sorte de rite de passage vers la modernité!

Aujourd’hui encore, le potager près de la ferme est, en général, géré par les femmes, qui maintenant, chose réjouissante, abandonnent les produits phytosanitaires et se mettent aussi à la permaculture. D’ailleurs, en Suisse, un tiers des personnes actives dans l’agriculture sont des femmes. Donc, hommage à elles!

Mais c’est dans les pays les plus vulnérables de la planète, que le rôle des femmes dans la production alimentaire de proximité est à souligner. Que se soit en Afrique ou en Amérique latine, la captation des terres par l’urbanisation galopante, l’insécurité économique, la diminution des ressources naturelles, la crise climatique sont des facteurs de développement de toutes sortes de projets au centre desquels se trouvent les femmes. Proposer des circuits courts, produire sa propre alimentation, acquérir des revenus complémentaires par la vente locale des produits, s’entraider  et se co-former entre femmes sont autant de  raisons du développement du maraîchage de proximité. Un maraîchage la plupart du temps biologique, consommant peu de terrain, grâce à l’utilisation optimale de petites parcelles marginales, souvent de manière collective. Parfois une petite activité associée de transformation de produit permet de régulariser les flux économiques sur l’année

Toutes sortes de pratiques et de projets adaptés aux contextes locaux, souvent innovants  sur le plan technique et social, favorisent la résilience  et l’autonomisation des femmes  dans des sociétés de plus en plus déstructurées par les crises politiques, environnementales, sanitaires et sociales.

Deux exemples en passant: sur des parcelles de 25m carrés, des femmes éthiopiennes séropositives cultivent fruits et légumes, ce qui leur donnent à la fois une meilleure santé pour elles et leurs enfants, et aussi leur permettent de retrouver une place sociale (c’est un projet accompagné par l’USAID).

A Nairobi, au Kenya, dans les zones très denses en population, il n’y a même pas la place de cultiver de tous petits lopins de terre, les femmes ont donc imaginé le potager en sac. Des sacs en plastique tissé, remplis de terre, avec, au centre des pierres pour réguler l’humidité, troués sur les côtés, permettent de produire des légumes devant la maison ou dans la cour. 

Micro-entrepreuneuriat, travail communautaire, pratiques agricoles ancestrales ou franchement novatrices, c’est comme ça que les femmes nourrissent le monde.

Le désir de Toichi Itoh

De lui, on ne sait rien ou presque rien. L’homme a été effacé, il a cependant donné son nom à un hybride de pivoines connu de tous les amateurs.

Alors, j’imagine la scène en noir et blanc; seules les couleurs des pivoines de sa serre émergent: jaune pâle, rose clair, blanc pur. On est dans les années quarante, Toichi Itoh est peut-être ouvrier dans une entreprise de Tokyo ou bien agent d’assurances, mais son amour, ce sont les fleurs, sa passion, les pivoines qu’il cultive dans son jardin de banlieue. A chaque moment de liberté, il leur consacre tous ses efforts: ce qu’il désire le plus, Toichi, c’est célébrer le mariage des deux espèces de pivoines, les herbacées et les arbustives pour obtenir le meilleur des deux. Il ne se souvient même plus comment est née cette idée, botaniquement impossible… Alors, il essaye de polliniser au pinceau, de créer des boutures, des greffons. Sa femme l’appelle pour le repas, il n’entend pas, Toichi: il a une mission.

Un document dit qu’il a effectué 20’000 croisements ratés. Toichi Itoh a sûrement connu des moments de découragement, voulu tout arrêter et cultiver des roses, mais en 1948 cependant, la réussite est au rendez-vous: le premier cultivar intersectionnel est né d’une plante herbacée à fleurs blanches (P. lactifolia ‘Kakaden’) et du pollen provenant d’une plante ligneuse à fleurs jaunes (P. x lemoinei). Madame Itoh a servi le saké!

Seulement voilà, Toichi Itoh est mort en 1956, le drame est qu’il n’a jamais vu sa pivoine fleurir, ce qui est s’est produit en 1964 ! Madame Itoh a laissé les pivoines là ou elles étaient, dans la serre. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, heureusement, un comptable américain à la retraite, Louis Smirnow, en a eu connaissance. En 1966, il a rendu visite à la veuve de Toichi Itoh et a sécurisé six plantes.

Smirnow, un autre cinglé de pivoines arbustives, s’y est intéressé dès 1931, lorsque sa femme et lui-même achetèrent leur première maison avec jardin. Sa passion pour la plante grandit et il finit par ouvrir une pépinière par correspondance spécialisée dans les pivoines arbustives. Pour trouver ces rares pivoines, il a parcouru le monde à leur recherche, persuadant même les Chinois de le laisser entrer dans le pays en 1979, environ cinq ans avant que la plupart des Occidentaux ne soient autorisés à passer la frontière. En 1974, il a enregistré quatre hybrides issu de la serre de Toichi Itoh, sous le nom d’Itoh Smirnow, en les baptisant «couronne jaune», «rêve jaune», «empereur jaune» et «ciel jaune». Une décennie plus tard, des obtenteurs américains ont commencé à introduire leurs propres hybrides intersectionnels. A l’époque, ces hybrides ne pouvaient être multipliés que par division, et coûtaient entre 300 et 1 000 dollars. Aujourd’hui, la technologie permet de produire en masse les pivoines Itoh en culture tissulaire.

La passion des pivoines ne date pas d’aujourd’hui et Toichi Itoh et Louis Smirnow n’étaient pas les seuls à en être saisi: En Chine, où elle était cultivée depuis le VIIIe siècle, la pivoine, en particulier la rouge, était considérée comme la reine des fleurs. Ses formes généreuses, ses floraisons voluptueuses exprimaient l’abondance. Les Grecs, quant à eux, lui attribuaient des pouvoirs magiques et la capacité à repousser les esprits mauvais. Son nom, Paeonia, lui vient d’ailleurs de Paeon, médecin des dieux de la mythologie grecque qui, selon Homère, l’utilisa en baume pour guérir Pluton de la blessure à l’épaule infligée par une flèche d’Hercule.

La pivoine herbacée se trouve à l’état endémique sur tout l’hémisphère nord, tandis que l’arbustive vient de Chine et des contreforts de l’Himalaya. Un peu oubliée dans les jardins de nos grands-mères, la pivoine refait surface depuis une cinquantaine d’années avec de nombreux cultivars de couleurs et formes variées. Il est encore possible de trouver la pivoine des paysans dite P. officinalis, parmi des centaines, voire des milliers de cultivars, dans certaines jardineries spécialisées. Pour s’y retrouver, on peut repérer 6 formes de fleur (simple, japonaise, semi-double, à collerette, en oeillet ou très double). On dit que la plante survivra facilement à son propriétaire, puisque elle peut vivre 100 ans et plus, si elle se trouve confortablement installée dans un terrain bien drainé, exposé soleil ou mi-ombre.

La beauté des pivoines vient de leurs couleurs délicates ou franchement vives et aussi, bien sûr, de leur éphémère mais grandiloquente floraison fin avril -mai. Les peintres aussi, l’ont célébrée et fixée sur la toile, notamment Renoir, Gauguin, Pissaro, Boudin. Le jardinier, lui, scrutera avec envie et impatience le développement des boutons et se désolera de la méchante pluie de début mai qui alourdira les boutons floraux déjà épanouis.

Moi je préfère les admirer au jardin. Mais, pour en conserver un peu de la splendeur et faire des bouquets qui durent “longtemps”, il faut cueillir les fleurs juste au début de la floraison, puis les mettre au frais, sans eau pendant 24 heures. Coupez ensuite en biais 1-2 centimètres de tige et placez les pivoines dans un vase rempli d’eau tiède, les feuilles ne doivent pas toucher l’eau. Renouvelez la coupe et l’eau tous les jours et placer le bouquet hors de la lumière du soleil.

Et n’oubliez pas une petite pensée pour le modeste Toichi Itoh, si vous avez la chance de posséder un hybride dans votre jardin !

Je pousse donc je suis…

…Mais qui le sait ? Les plantes aussi sont, n’en déplaise à René Descartes. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? Selon Descartes, c’est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas , qui imagine aussi, et qui sent. On peut aisément dire que les plantes ne doutent pas ou n’affirment pas, mais peut-on alors dire qu’elle ne sont pas ? La nature d’être est-elle seulement liées à ces critères ? Il me semble que la sensibilité à la douleur est une caractéristique primordiale de l’être qui pourrait nous éclairer dans notre relation à la nature, ou plus précisément au vivant.

Aujourd’hui, de nombreuses études scientifiques nous révèlent la vie intérieure des plantes. On y apprend, ce que notre intuition nous susurrait, à savoir que les arbres sont solidaires, qu’ils communiquent entre eux via un world wild web situé dans la rhyzosphère (le réseau des filaments de racines de champignons, pour faire simple), qu’ils s’adaptent aux agressions extérieures en changeant la composition de leur feuillage en quelques heures. Et bien sûr, les plantes se portent mieux quand nous leur foutons la paix. Est-ce nécessaire de savoir-penser cela, pour mieux les aimer et les respecter?

Par quel bout renouer le lien qui nous unit au vivant avant que nous l’ayons complètement perdu? L’historien Yuval Noah Harari, dans son brillant “Sapiens”, décrit comment la naissance de l’agriculture a fait d’homo sapiens l’espèce la plus prospère et la plus destructrice que la planète ait porté. Le chasseur-cueilleur n’avait pas l’outrecuidance de se croire supérieur à l’animal chassé et ne percevait pas son impact sur le système écologique (il risquait aussi de se faire embrocher par un rhinocéros…). Voilà en gros 12’000 ans, la naissance de l’agriculture, crée un homme nouveau: le cultivateur, inscrit dans un mythologie de domination, de domestication des animaux et des plantes, devient capable de réduire au silence le peuple végétal et animal.

Aujourd’hui, le résultat est là: nous en sommes à la 6ème extinction, la seule provoquée par l’humain. Selon le récent rapport sur la biodiversité mondiale, les trois quarts de l’environnement terrestre et environ les deux tiers du milieu marin ont été significativement altérés par homo sapiens. Au delà de la flore et de la faune sauvage, même les espèces végétales cultivées ont été réduites de 90% en 100 ans. En moyenne, ces tendances ont été moins graves ou évitées dans les zones qui appartiennent à/ou sont gérées par des peuples autochtones et des communautés locales. Cet élément donne un triste crédit à la thèse d’Harari sur les chasseurs-cueilleurs et les cultivateurs. Dès lors, pouvons-nous sortir de notre anthropocentrisme suicidaire? Pouvons-nous encore et désirons-nous nous ré-ensauvager un peu ? Il ne s’agit pas là de romantisme rousseauiste, mais d’une question de survie!

Pour pouvoir re-trouver la conscience que nous sommes la nature, des vivants dans le vivant, il faut, selon les écopsychologues, passer par les étapes du travail de deuil:

  • le déni: pas de doute, les climatosceptiques font bien leur boulot!
  • la colère: les jeunes qui manifestent ces temps, les écologistes, les activistes…
  • le marchandage: la technologie va nous sauver de la catastrophe, (les crédits carbones, la captation du Co2, les voitures électriques, par exemple)
  • la dépression: l’étape encore à venir pour la plupart d’entre nous tant nous ne sommes pas prêts à faire le deuil du monde tel que le connaissons, d’autant plus difficile à envisager que cette mort arrive à petit pas, presque silencieusement pour ceux qui ont (encore) les oreilles bouchées
  • Et enfin, la renaissance, le réengagement dans un nouveau monde, dans un nouveau récit du vivant encore in-envisageable, c’est à dire qui n’a pas encore de visage.

Intéressant, non ? la route est encore longue pour faire cohabiter dans l’harmonie “penser donc être”, “être donc penser”, et “être donc être”.


Du train au jardin…

Les voies ferrées curieusement ont un lien étroit avec les jardins. Je pense d’abord aux nombreuses parcelles cédées ou louées par la SNCF à ses employées. Créée en 1942, le Jardinot, d’abord réservé aux cheminots et depuis 2005 ouverte à tous, est l’association la plus importante en nombre de jardins familiaux ou jardins ouvriers. Avez-vous remarqué près des gares françaises, des parcelles, souvent en talus, cultivées sur 5-10 m. de largeur ? Pour améliorer un quotidien rude, les employés SNCF ont très tôt mis à profit ces parcelles ingrates. Aujourd’hui, les abords de nombreuses voies ferrées offrent des espaces de culture et convivialité. Jardinot se donne pour buts de transmettre à ses 45’000 adhérents le goût du jardinage éco-responsable, de la nature, le respect de l’environnement, le sens de l’amitié, de la solidarité en encourageant toutes les formes de jardinage. http://www.jardinot.org

Autre lien entre trains et jardins et loin du concept des parcs urbains, les jardins issus de la réhabilitation de voies de transports font florès dans les métropoles. Les territoires susceptibles d’accueillir de grands parcs ont été mangés par les constructions et il ne reste que peu de territoires à conquérir pour le vert en ville. Et pourtant, la qualité de vie des cités est aussi tributaire du contact possible avec la nature (je ne parle même pas ici de la lutte contre les îlots de chaleur). La première réhabilitation d’importance d’une voie ferrée en espace vert est la célèbre “Coulée verte René Dumont” à Paris qui suit le tracé de l’ancienne voie ferroviaire de Vincennes sur 4,7 kilomètres. Cet exemple a certainement inspiré les urbanistes et paysagistes de grandes cités qui ont à leur tour proposé des jardins qui permettent aux habitants et visiteurs de s’approprier de nouveaux paysages et espaces. De nombreux projets sont en cours de conception à Chicago, Saint-Louis, etc. Probablement, la plus fameuse réalisation, et certainement la plus ambitieuse est la High Line de New York:

New York : La High Line était autrefois une voie ferrée suspendue à 10 mètres permettant le transit des marchandises au-dessus du quartier de Chelsea et de la 10ème rue à l’époque si encombrée de calèches, chevaux, voitures qu’elle était surnommée la rue de la mort à cause des accidents et carambolages qui s’y produisaient. Avec le temps, le transit marchandises se fit par camion et la voie fut fermée en 1980… et oubliée jusqu’à la fin des années 90. Un collectif de riverains milita pour la conservation et la réhabilitation de ce patrimoine citadin. Depuis son inauguration en 2009, ce sont plus de 10 millions de personnes qui l’ont parcourue et ont découvert un jardin pensé pour la ville et répondant aux préoccupations sociales et environnementales.


La promenade propose une large sélection de plantes et fleurs, dont de nombreuses espèces indigènes des prairies américaines. Le plan et calendrier des floraisons est disponible sur le site internet de la High Line. Aucun pesticide n’est utilisé, préservant les nombreux oiseaux et insectes qui y ont élu domicile. Enfin, les lumières installées le long de la promenade sont des LED orientées vers le sol, afin de limiter la pollution lumineuse. En quelques années la High Line est devenu un must pour les touristes et les habitants qui peuvent y vivre des moments de détente et de contemplation ou d’y assister à des performances artistiques. http://www.thehighline.org

Jerusalem : Des chemins piétonniers, des pistes cyclables et un parc linéaire de 7 km de long relient entre eux sept quartiers arabes et israéliens de Jérusalem qui n’étaient plus connectés. Le Train Track Park a été construit entre 2010 et 2013 sur la voie ferrée désaffectée reliant Jaffa et Jérusalem. Jusqu’à une date récente, la zone où se trouve maintenant le parc était « la décharge de Jérusalem”, mais aujourd’hui, les habitants y voient une opportunité à la fois économique et de socialisation. Sur certains tronçons, des clôtures ont été installées, mais aujourd’hui la tendance est plutôt d’ouvrir des cafés et des lieux de convivialité comme des espaces de lecture ou d’expression artistique. On y pratique le vélo, le yoga et la sieste bien sûr ! Et la fraternité peut-être…

Sydney, en Australie, a converti la voie ferrée abandonnée de Darling Harbor en une piste réservée aux cyclistes et aux piétons qui a ouvert en 2015. Le parc partiellement suspendu porte le nom de Goods Line. Comme à New York, la voie ferrée avait été construite au 19ème siècle pour transporter des marchandises du pays (principalement de la laine, du blé et du charbon) jusqu’au port avant de les exporter partout dans le monde. Sur la Goods Line, on trouve des tables de ping-pong, une salle de gym en plein air, des espaces de travail, un amphithéâtre et une multitude de petits coins où l’on peut se relaxer.

Séoul enfin, où les habitants peuvent se promener dans un parc éblouissant qui surplombe la ville. Au lieu de démolir un échangeur désaffecté, les autorités de la ville ont décidé de le transformer en une promenade suspendue de près d’un kilomètre, bordée de plus de 24 000 plantes, fleurs et arbres. Les promeneurs peuvent se balader parmi des cafés-librairies, des stands de spectacles de marionnettes et des petits cafés. À la nuit tombée, le parc est illuminé en bleu grâce à un éclairage LED.

A travers ces exemples, on peut constater l’appétit des cités contemporaines pour le vert et la réhabilitation du patrimoine industriel ou des infrastructures de transports. La nature à reconquis de nouveaux terrains à même d’augmenter l’attractivité des villes et de proposer des espaces sociaux, artistiques et de biodiversité. On monte dans le train ?



Faire la paix…

Dans les jardins de Suisse romande, en une quarantaine d’années, les choses ont bien changé. J’en parle car, en 2020, l’émission dominicale de la RTS “Monsieur Jardinier” célébrera les 40 ans de sa création. Je ne fais pas ici oeuvre de sociologue ni d’historienne, mais de simple observatrice. En 1980, la villa individuelle assortie de son gazon, son allée de rosiers et de sa haie de thuya constituait pour de nombreux Helvètes la promesse de la félicité domestique. Mais cette ataraxie bien ordonnée était souvent troublée par des hôtes indésirables, des parasites du plus mauvais aloi, des “mauvaises herbes”, ou encore les résultats esthétiques ou de production insuffisamment conformes aux attentes. L’émission de conseils de jardinage a donc connu un succès immédiat tant la soif de conseils éclairés était grande, et d’ailleurs, ne se dément pas aujourd’hui. Mais qu’est ce qui, en 40 ans, a changé dans nos pelouses? Je me souviens, pour l’avoir entendu souvent, des questions du genre :”Il y a une poudre blanche sur mes rosiers, des taches sur mon gazon, des pucerons dans mes choux, etc., que faire pour y remédier?” Les réponses des experts de l’époque, souvent assorties de conseils du genre: “Utilisez un produit X, pulvérisez avec Y, arrachez, taillez ! ” reflétaient bien dans l’air du temps… et je ne leur en fait pas reproche.

Depuis 2003, l’émission a banni toute référence aux produits phytosanitaires et je pense qu’elle a fait oeuvre de précurseur dans ce domaine et influencé de nombreux Romands vers une prise de conscience écologique. Certes, les questions des auditeurs sont encore les mêmes, mais les réponses diffèrent sensiblement, on y parle paillage, purins végétaux, taille raisonnée et surtout connaissance et acceptation de la nature, de ses cycles et de ses fantaisies. De nouvelles préoccupations, de nouvelles envies se manifestent: “Comment installer une prairie fleurie ? Accueillir les oiseaux, les abeilles ? Faire un petit potager au bas de mon immeuble ou cultiver sur mon balcon?” L’émission accueille aussi naturalistes, biologistes, géologues complétant une équipe de paysagistes et horticulteurs-trices, et peut satisfaire une vrai appétit pour les mystère de la nature: “Qu’est ce qu’est cette plante, cet insecte, cette graine? On y discute péponide, cotylédons, gymnosperme, anémogamie, marcescence, saxicole, miroir de Vénus ou gymnocarpe de Robert, et tout ça à 6 h du matin, c’est fort , hein?

Les enjeux climatiques, la chute dramatique de la biodiversité en Suisse sont, bien sûr, en arrière fond de cette évolution et l’oeuvre de pédagogie est ici capitale: la compréhension des besoins des plantes et animaux, la connaissance des sols, la mise en lumière de la complexité des systèmes écologiques, a, je pense, fait évoluer la perception des Romands de leur bout de jardin. Les conseils donnés par les pros ne sont jamais culpabilisants et, au contraire, encouragent les plus sceptiques à tenter de nouvelles voies, plus écologiques. Une relation plus apaisée, plus aimante avec notre environnement (immédiat) se développe. Bien sûr, la maîtrise reste un élément central mais l’émission nous offre même quelques moments de pure philosophie et de contemplation émerveillée.

Ringard, Monsieur Jardinier ? Bien au contraire, l’oeuvre est de salubrité publique, tant les zones villas qui ont envahi nos campagnes peuvent être de formidables chances pour la restauration de la biodiversité, pour peu que, nous les jardiniers, acceptons de faire la paix avec le vivant de nos jardins. En cela elle est un reflet de l’évolution de notre relation à la nature et à la nature domestiquée en particulier. Il y aurait là matière à une étude sociologique. En attendant, pour écouter par vous-même, vous êtes même pas obligés de vous lever à 6h. le dimanche matin! La page de l’émission vous offre tous les podcasts :

https://pages.rts.ch/la-1ere/programmes/monsieur-jardinier/

C’est ici !

Minuscule promenade

Le petit matin au jardin, faire quelques pas dans l’herbe ruisselante de gouttes de rosée, c’est goûter à la tranquillité de l’âme avant que le monde pétaradant ne (re)prenne le contrôle. Marcher pieds nus avec la lenteur d’une moine zen, au soleil rasant, en étant attentif au moindre changement: Tiens, la pivoine est sur le point d’éclore, encore un peu de patience! Ici, un animal est passé durant la nuit, les tulipes ont un peu souffert du froid et se réjouissent de sécher leurs corolles au soleil naissant. L’ancolie fragile se redresse. Les feuillages humides jouent de transparences tandis que oiseaux et insectes jouent leur symphonie dans l’air frais. Le matin est le meilleur moment du jardin de printemps et d’été, la lumière y est encore limpide et fraîche.

Je m’en tiens alors au constat temporaire: dans le jardin, l’équilibre n’est jamais stabilité. Mais lors de cette courte déambulation, le temps semble comme ralenti. Peu de choses échappent à l’oeil du jardinier pérégrinateur matinal.
On n’ose à peine penser à une intervention tant il ne semble rien manquer ici. Et pourtant, ce paysage est le fruit des “hasards” de la nature et de la compétence (ou la difficulté) d’adaptation à un contexte donné de la part  jardinier, en l’occurence de la jardinière…  L’inquiétude et l’impatience me poussent à ajuster ici, enlever là, couper ceci. Finalement, c’est moi, malgré ma modestie d’apprentie, l’élément volontairement pertubateur (ou créateur) dans ce système.

Le jardin est une nature domestiquée, le fruit de la collaboration entre la nature et l’homme, à l’image que celui-ci se fait d’un refuge ou d’un paradis matriciel retrouvé. A chacun le sien donc! Le hortus conclusus des monastères, représentation même du paradis, au centre duquel trône la Vierge Marie, le jardin arabe avec ses plans d’eau où se reflète la grandeur du ciel, le jardin de pierre ultra-maîtrisé du Japon, le jardin à la française démontrant la supériorité de l’homme sur la nature soumise, ceux de Gilles Clément ou de Gertrude Jekyll où s’épanouissent les vagabondes… Les courbes, les lignes, les structures, les associations et les couleurs sont là pour donner du sens à la création en mouvement perpétuel.

“Si la vie n’est qu’un passage, sur ce passage au moins, semons des fleurs” disait Montaigne. Il y a toujours quelque chose à être ou à faire (ou à ne pas faire) au jardin, et c’est ça, l’enseignement de notre minuscule promenade matutinale.

Mais, le soleil monte, il est temps  de se sécher les pieds et d’aller travailler.

Système bancaire et pommes de terre

Où il est question de rendement et de plaisir:  Les Suisses aiment leurs banques, ils reçoivent à leur naissance un carnet d’épargne. Vous vous souvenez de ce petit livret ? Le mien était rouge et bleu comme les célèbres bonnets de ski de la banque en question. Mais si l’argent de ma tire-lire sert à payer les bonnets et les gros bonnets de la banque,  et me resservir un taux d’intérêt de 1% (en me piquant au passage des frais de gestion qui bouffent l’intérêt), je me dis qu’il y a un tour de passe-passe qui fait de moi une pigeonne…

La nature, elle, est bien plus généreuse ! Une pomme de terre de 80 grammes, plantée au mois d’avril, vous offre entre 800 grammes et 1.5 kilo de tubercules au mois de septembre! Si un banquier vous proposait ne serait-ce que 4% “garanti”, vous y regarderiez à deux fois. En plus, essayez de manger une pièce de 2 francs, ça fait mal aux dents !

Alors oui, pour avoir du rendement, il faut avoir une surface de plantation, travailler un peu, surveiller l’évolution des plantes, apporter du compost, faire fuir les prédateurs. C’est comme pour le fric (qu’on appelle volontiers le blé ou l’oseille…), faut surveiller les cours de la bourse, investir sur le bons produits. Pour ce qui est de faire fuir les prédateurs, regardez dans la direction de votre banque: actionnaires  et management sont grassement rémunérés avec vos patates !

Alors, y’a plus à hésiter : investir dans le jardin potager: pour manger sans pesticides, de bons produits variés et sains  que vous aurez la fierté d’avoir élevés vous-mêmes avec, cerise sur le gâteau, un rendement économique. Petit calcul à la louche:

  • achat d’un kilo de pommes de terre à planter, disons chf 4. – (ça peut aussi le faire avec celles que vous avez oublié au frigo, pourvu qu’elles soient bio, sinon, traitement retardateur de germination),
  • le travail du jardinier pour ce même kilo,  disons 20. –
  • un peu de matériel amorti en 5 ans, disons 3. –
  • 2-3 bricoles pour 2. –
  • notre investissement total est donc  de 32. –

Combien nous rapporte-t-il ? nous allons récolter entre 12  et 15 kilos, soit, suivant la variété entre 48.- et 60. -. Le rendement va bien sûr augmenter significativement avec le volume, en diminuant les coûts de production.

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Heureux les humbles…

Elles auront le jardin en héritage ! Les humbles au jardin, ce sont ces plantes qui passent, au mieux inaperçues car d’une décevante et apparente banalité, affligées d’un manque de panache et de spectaculaire. Au pire, elles sont l’objet de la fureur vengeresse du jardiner qui les traite de “mauvaises”. La chasse aux mauvaises herbes est une activité certes défoulante, mais chronophage et, il faut bien le dire, relativement inutile. On se pète le dos, on remplit des sacs qu’on amène à la déchetterie, et on recommence trois semaines plus tard. C’est un peu Sisyphe et son caillou, quoi !
En me promenant sur le site d’une  marque mondiale d’herbicides dont vous devinez le nom, j’ai trouvé 253 adventices (c’est le nom sérieux des mauvaises herbes) à éradiquer absolument, et bien sûr, avec tout ce qu’il faut de chimie pour le faire!

le célèbre rumex ou lampée

Je me suis aussi battue avec, mais avec les mains et les ampoules qui vont avec, la sarclette, le genou à terre, souvent découragée par l’arrivée de la petite pluie fine qui allait réduire mes efforts à néant.

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Je hais les haies de thuya…  Mais pourquoi tant de haine ? Vous êtes-vous déjà promené.e entre 2 murs de béton verts, taillés au cordeau militaire 2 fois par année, à grand renforts de machines pétaradantes? Tout ce qui est équarri finit à la déchetterie, car bien sûr, c’est inutilisable au jardin ! Zéro biodiversité là-dedans, impossible pour un oiseau d’y nicher ou pour un hérisson de s’y faufiler.
Le thuya est le résidu d’un autre monde, celui des zones villas émergées dans les années soixante, signe de la réussite sociale des Trentes Glorieuses : on protége son quant-à-soi, son gazon, son barbecue, sa piscine et son labrador. Une absence totale de poésie et de liberté, vous dis-je. Un cloître stérilisé et maîtrisé pour humains angoissés par la nature sauvage.

C’est moche, hein?

Tant qu’à faire, je préfère le béton qui s’assume franchement, qui ne fait pas dans la ruse idiote pour cacher ce qui tient tant à être caché. Au moins on peut le graffer !

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Ainsi jardinait Zarathoustra

L’hiver et l’inactivité au jardin m’incite à prendre le temps de quelques modestes réflexions philosophiques. Epicure, Voltaire, Rousseau et bien d’autres (sur lesquels, peut-être, je reviendrai une fois…) ont écrit sur le jardin. En relisant « les consolations de la philosophie » d’Alain de Botton,  voici que, au milieu d’eux, surgit un promeneur inattendu dans le jardin : Nietzsche (1844-1900).

On a tendance à le voir nous plutôt en montagne qu’au jardin, gravissant le Piz Corvatsch au-dessus de Sils Maria, pour en faire une métaphore de l’effort, de la souffrance, pour s’arracher à la médiocrité et aller vers son accomplissement joyeux. Pour lui, toutes les vies sont difficiles et c’est la manière dont on affronte les difficultés (et pas comment on les évite) qui les rend réussies. Montaigne disait : Il faut apprendre à souffrir ce que l’on ne peut éviter, notre vie est composée comme l’harmonie du monde, de choses contraires, de divers tons. Nietzsche, dans sa tentative de consolation de ses semblables, estime que les difficultés sont une condition sine qua non de l’accomplissement personnel (et que les consolations faciles sont plus cruelles qu’utiles, en particulier l’alcool et la religion).

Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », Nietzsche fait de multiples allusions au jardin: il est un paradis sur terre, dont rien n’est exclu, ni Sodome, ni Gomorrhe, ni la mort qui prend, dévore, qui rejette pour vivre et mourir encore. Et plus que cela, son jardin symbolise un lieu dédié à la vie et à la beauté dont l’homme devenu jardinier est le seul créateur et le seul resposable (M. Grygilewicz)

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L’ami céleri

Le céléri-rave a une sale gueule. Les enfants le détestent le plus souvent. Sa mine suspecte, sa forte odeur de terre n’en font pas un ami des parents aux fourneaux.  Du coup, il est trop peu utilisé dans notre cuisine.

J’en connaît un qui lui a rendu un hommage élégant et subtil. Il s’agit de Pascal Gauthier, cuisinier du Restaurant du Jorat à Mézières, qui l’a décliné, il y a quelques années, dans un monochrome à l’huile de truffe blanche d’une apparence sobre mais d’une saveur à la fois subtile et très puissante.  Pascal Gauthier ferme son restaurant en cette fin d’année pour voguer vers de foisonnants nouveaux projets et c’était hier soir une dernière occasion de passer une soirée au Jorat. En amuse-bouche, devinez quoi ? Un céleri en rémoulade à la truffe blanche, qui décidément se marie merveilleusement bien avec notre ami mal-aimé. Vous vous souvenez de ces affreuses rémoulades de céleri de cantines scolaires noyées dans une pesante sauce à la mayonnaise censée éviter le jaunissement et le dégoût des jeunes palais ? Oubliez ! Simplement râpé cru, très frais, un peu de jus de citron (mais point trop n’en faut), peu de sel, un peu de poivre et quelques gouttes d’huile de truffe blanche… Magnifique ! Pour ma part, je le cuisine souvent en purée safranée (avec une ou deux petites pommes de terre pour adoucir sa saveur terreuse) en accompagnement d’une viande rouge.

Au jardin, le céleri-rave est  un exigeant qui prend son temps. Il lui faut 6 à 7 mois pour développer ses arômes et sa taille, qui peut parfois être impressionnante.

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Hommage aux maraîchers de Paris

Une ville à nourrir, c’est pas rien ! Fournir des légumes en primeur et hors-saison pour un million d’habitants, sans moyen d’importer la production des campagnes et provinces environnantes. Au milieu du 19ème, pas de trains routiers, pas de camions de 40 tonnes, pas de poivrons espagnols, de tomates marocaines, de concombres italiens. Il fallait produire à proximité.

Les techniques de maraîchage utilsées à cette époque étaient en symbiose avec l’environnement: imaginez la ville de Paris à cette époque (relisez Victor Hugo), le cheval est au centre de la vie économique et des tonnes de crottin sont produites… et pas perdues pour tout le monde: les maraîchers  en font grande consommation, leurs chevaux livraient à l’aube les légumes aux halles, et revenaient la charrette pleine de fumier, ce qui libérait les rues de tas de crottin susceptibles de contaminer l’eau et de transmettre des maladies.

Les maraîchers de Paris, dont l’habileté était déjà reconnue vers 1670 par Jean-Baptiste de La Quintinie, (voir mon précédent article) tirent leur nom de marais, terme qui désignait à l’époque les jardins aménagés sur des terrains bas, souvent anciennement marécageux, situés dans les villes ou aux alentours.

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L’inventaire à La Quintinie

Virtuose du potager, Jean-Baptiste de la Quintinie (1626-1688), vous connaissez ? Je l’ai, pour ma part découvert, en lisant les ouvrages d’Alain Baraton, jardinier du parc du Trianon et du château de Versailles, qui m’ont donné le désir de mieux connaître celui qu’il qualifie de plus grand jardinier de tous les temps.

JBQ (qu’il me pardonne cette familiarité) était destiné à devenir avocat, mais les mains dans la terre, il se découvre une passion et un talent qui ne cessera de cultiver. Au contraire des jardiniers célèbres  de cette période (Le Nôtre, Le Brun), c’est un modeste, un humble, qui entretient une relation de complicité et non de domination avec la nature. Il était aussi un génie expérimentateur et solitaire, un chercheur passionné et patient, qui pour garnir la table du Roi, parvient à faire pousser des asperges et des fraises juteuse au mois de décembre ! Un pédagogue aussi : Son ouvrage, que je tiens entre mes mains, l’Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, est une merveille de savoir encyclopédique, de poésie truculente  et d’observation fine. On y trouve  des informations essentielles et toujours d’actualité sur la manière de conduire en particulier les arbres fruitiers.  Une sorte de volonté encyclopédique, qui peut paraître parfois aride, en comparaison avec l’édition actuelle en matière de livres de jardinage (par exemple, Le jardin des paresseuses, Vite ! Un beau jardin, le potager pour les nuls etc.).

Je ne résiste pas à citer ici un extrait de sa préface adressée au Roi Soleil:

 » La nature, ce me semble, prend plaisir à ne rien refuser à Votre Majesté, et qui la regarde en effet comme le plus parfait de ses ouvrages, a sans doute réservé pour son auguste règne ce que la terre a caché à tous les siècles passés. Ce n’est qu’à force de sueurs que les hommes ordinaires arrachent du sein de cette mère commune ce qu’ils sont obligés de lui demander tous les jours pour leur subsistance, parce que sa plus forte inclinaison ne va qu’à produire des chardons et des épines; mais pour peu que Votre Majesté continue à favoriser de ses regards ceux qui ont l’honneur de la cultiver dans ses jardins, nous verrons, à la gloire de notre Monarque,  et à l’avantage du genre humain, que ce qui été inconnu à toute l’Antiquité, ne le sera plus pour personne »

Dans sa bible potagère,  (dont  tous les jardiniers pourraient -devraient ?- s’inspirer, en tous cas en se plaçant dans l’attitude de l’observateur attentif et méticuleux) JBQ dresse des listes descriptives  et évaluatives d’arbres fruitiers, en particulier de ceux qu’il a planté à Versailles. On y trouve aussi les outils et les termes propres au jardinage, d’une délicieuse désuétude, les instructions de culture pour toutes les saisons, un manuel de taille, le tout avec une volonté pédagogique évidente. Mais point de pommes de terre, ni de tomates, bien sûr! Quel dommage d’ailleurs, j’aurais adoré lire Jean-Baptiste sur ces sujets!

Inventaire à La Quintinie:

Les pommiers : Court-pendu, Cousinotte, Haute-Bonté, Pigeonnet, Rambour, Fenouillet, Drue-Permein, Pommes de Glace, Francatu…

Les poiriers: Virgoulé, Petit-Oin, Bon-Chrétien, Cuisse-Madame, Messire-Jean, Petit Blanquette, Cassolette, Sucré-Vert, Rousseline, Pendard, Satin Vert, Brute-Bonne, Or d’automne, Parfum d’été…

Et j’en passe…. Quand aujourd’hui, on a de la peine à trouver plus de 15 variétés de pommiers en Suisse, on peut se rendre compte de ce que l’on a perdu en biodiversité.
Jean-Baptiste devrait être le saint patron des jardiniers !

Et je fais ici la promesse de parcourir cet hiver les 1000 pages du Traité (réédité par Actes Sud en 2016).

Skopelos Red

Quand je pense à la Grèce, je pense en bleu et blanc, cliché, n’est ce pas ? La mer, les murs blancs, les chats maigrelets alanguis à l’ombre d’un figuier, etc.
Aujourd’hui, c’est dans le rouge que je vous invite à plonger.
L’année passée, ma copine Peggy qui va souvent sur l’île de Skopelos, comme pas mal de romands semble-t-il, m’a ramené quelques graines d’une tomate tellement savoureuse, tellement juteuse, tellement rouge, que je l’ai baptisée Skopelos Red (en anglais, c’est plus smart, en grec, je sais pas).
Plantée avec amour et toutes les attentions indispensables à sa croissance, repiquée en serre début mai, attendue mais sans trop d’attente, vu le climat d’ici. Et ma foi, c’est elle qui a gagné la course! C’est la première cueillie de 2018 !
Skopelos Red « Ten points » !!
C’est toujours une émotion de les voir pousser, de chercher le soleil, de faire les petites fleurs jaunes pleine de pollen. Bien sûr, l’oeil noir, on guette les attaques de mildiou, les taches suspectes. On attache, on taille sans pitié, on tâte l’humidité, mais surtout, tous les matins, à la fraîche, on vient leur souhaiter le bonjour.
Et mi-juillet, arrive la première. Elle fait la fiérote, devant toutes les autres qui sont en encore vertes de jalousie. Faut dire qu’elle est l’objet d’une attention encore plus soutenue, normal, on ne voit qu’elle !
Bref, vous voudriez peut-être savoir si elle est savoureuse cette Skopelos Red ? Eh ben, on n’a pas encore osé la goûter, elle repose si paisiblement dans la coupe à fruits. Ce soir : salade grecque ! Kalispera !

Les pommes de terre de Noël

Noël en plein mois de juillet, c’est la réjouissance de cueillir ou plutôt de déterrer les patates. Comme quand, enfant, on déchire avec excitation le papier brillant et bariolé du cadeau sous les yeux attendris des adultes, qui connaissent le contenu du paquet.
Cueillir les patates, c’est comme de trouver de l’or, sans devoir trop chercher. En fait, on est sûr de son coup..mais il y a quand une espèce de suspense, un petit effet d’étonnement émerveillé à chaque tubercule qui surgit de la terre chaude. On a peur d’en laisser, on gratte, on fouille. Le mieux, je trouve, c’est de le faire à la main. Le matin, à la fraîche, la terre pas encore trop chaude, juste humide de la rosée de la nuit, j’aime retirer avec délicatesse ces nobles fruits, garants d’accompagner des festins simples et partagés.
Cueillir les patates, c’est être plein de reconnaisance pour un miracle qui ne laissera jamais de m’étonner: Déposer une pomme de terre au mois d’avril, en retirer 7 ou 8 au mois de juillet, dingue non ? Beaucoup plus performant que toutes les bourses du monde!!
Cueillir les patates, c’est se dire que sans Monsieur Parmentier, le monde serait plus triste et plus fade. C’est aussi se souvenir que la pomme de terre a sauvé la vie de bien des gens lors des grandes famines du 19e siècle (enfin si le doryphore n’y a pas fait sa pitance avant la récolte).
Cueillir les patates, les mettre à l’abri pour l’hiver c’est vivre le cycle saisonnier de nos ancêtres communs, les paysans.
Bref, vous l’avez compris, j’adore récolter les patates et les manger…avec un peu de beurre salé et un Brillat-Savarin… Et vous ?

Il faut que tout le monde vive…

Quoique…
L’invasion de pucerons au potager de ce début d’été m’amène à reconsidérer cette position éthique que je croyais bien ancrée et largement partagée dans nos contrées. Oui, parce que si vous allez en Libye ou bien en Irak, ou en Syrie, ce n’est pas tout à fait la même chanson. Mais vous n’irez pas, hein ?
Revenons à nos pucerons : une invasion qui amène des coccinelles et des fourmis partout au jardin, ça c’est cool, c’est l’équilibre de la nature. Faut-il pour autant laisser faire ? Voilà une question morale pas si anodine que ça. Question que ceux qui veulent vous vendre des saloperies toxiques n’aimeraient que vous vous posiez.
Mais…au secours ! Mes plants de tomates sont envahis de pucerons, mes pommes de terre offrent gîte et couverts aux doriphores et je vous raconte pas les mulots, ni les limaces qui bouffent tout ce qui passe à leur portée.
Alors, quoi ? J’avoue que je suis bien embêtée. Et je cherche des solutions qui me permettent de belles récoltes et qui autorisent une minimum de vie animale dans mon jardin. En plus, je suis vraiment loin de comprendre ce qu’ils se passe dans ce système si complexe qu’est mon potager…et le vôtre aussi !

Bon, une recette,  que j’utilise dans mon vain combat contre les pucerons bouffeurs de verdure. À vous de voir!

MACÉRATION D’AIL

 L’ail que l’on trouve dans toutes les bonnes cuisines peut être utilisé comme insecticide et fongicide.

PREPARATION ET UTILISATION : Peler et hacher 100gr d’ail avec la peau. Ajouter 3 cuillère à soupe d’huile d’olive et laisser macérer pendant 24h. Filtrer et écraser.

Ajouter 1 cuillère à café de savoir noir liquide, bien mélanger et ajouter 1 l. d’eau

Diluer à 5 % et vaporiser les plantes le soir.

 

Voilà, et maintenant choisissez votre camp !

 

BRF mon amour !

Après les tailles de mars, préparer le bois raméal fragmenté est une activité qui nous fait aller au jardin même s’il fait encore un peu frais !
Mais comment procéder ? Et d’abord pourquoi faire du BRF ? Première raison, le BRF est un paillage d’excellente qualité et très nutritif pour les plantations à venir. Deuxièmement, le BRF va favoriser l’installation de mycélium et rendre la terre humifère et troisièmement, pour éviter le merveilleux paradoxe qui consiste à amener des « déchets » de taille à la déchetterie et puis aller acheter du compost en sortant ! La nature nous offre tout ce qu’il faut pour notre jardin! Pas de déchets au jardin, que des ressources !

Alors, comment s’y prendre ? Un bon broyeur est nécéssaire.

Perso, je recommande un modèle assez puissant pour avoir un bon débit et qui accepte des branches jusqu’à 4-5- cm de diamètre. Par exemple, un Eliet à moteur thermique (inconvénient, le bruit…). Passer les branchages de tous les arbres, arbustes, fruitiers, avec une grande modération pour les résineux (qui vont acidifier l’ensemble). Voici le résultat :

Juste après le broyage, étendre généreusement un couche de 2-3 cm maximum sur les buttes , dans les massifs de fleurs, dans la serre. Au moment de faire les plantations, écarter un peu le BRF et planter. Plus tard, quand le planton aura pris de la vigueur, ramener un peu au pied.
Attention, le BRF peut provoquer une petite faim d’azote: pour y parer, étendre un peu de raclure de cornes, par exemple.

Bien du plaisir !!

En hiver, il ne reste qu’à rêver…

Et par exemple, en préparant la prochaine saison au jardin. Pour cela, catalogues de jardinerie et de producteurs de plantes sont le meilleur moyen.

En plus, aujourd’hui, je vous propose un petit voyage, à faire dès le printemps précoce ou plus tard. L’Allemagne n’est pas précisèment connue pour son art des jardins, mais, gardons nous des préjugés. Cet automne, à la faveur d’une escapade en Allemagne du Sud, nous avons découvert à  une heure de Bâle, à Salzburg (Bade Wuertemberg)  la jardinerie  Staudengärtnerei Gräfin Von Zeppelin.

La comtesse Helen von Zeppelin (1905-1995), nièce de l’inventeur du célèbre dirigeable, par passion fait des études de jardinage et se lance dans la culture des iris. En 1938, elle publie son premier catalogue, avec 87 sortes anciennes et nouvelles.

Aujourd’hui la jardinerie, qui en est à la troisième génération de femmes (la fille Cécily, puis Karin la petite-fille de la comtesse), compte 1400 occurrences d’iris. Mais ce n’est pas tout, 2500 vivaces, d’innombrables bulbeuses se déploient sur plus de 6 hectares, soignées par 40 collaborateurs. Le plus beau, c’est le design du jardin qui invite à la balade et… à la dépense bien sûr ! En marge du village, avec de grandes verrières et serres, un espace bouquinerie, un café, des espaces de repos à l’ombre de jolis arbustes, cette jardinerie poétique nous a  étonnées et ma foi beaucoup plu.

 Evidemment,nous n’avons pas pu résister à l’achat de quelques plants de pivoines, qui ont été arrosées dans le coffre de la voiture, pendant une semaine! Plantés aussitôt de retour à la maison, je pense qu’ils vont bien se développer… on vous redit !!

http://Www.graefin-von-zeppelin.de

Le blues de la jardinière

De mars à novembre, c’est le burn out et de décembre à février, c’est le blues !
Ben alors pourquoi, me direz-vous avec un soupçon d’impertinence, ne pas passer tes loisirs à faire du yoga, apprendre l’espagnol ou la viole de gambe, plutôt que te péter le dos, d’avoir les ongles noirs et de te lamenter sur les invasions de mulots, hein?
A ça, je réponds fièrement que nos tomates, c’est les meilleures du monde, que les petits pois mangés crus au petit matin c’est sublime, que mettre les mains dans la terre, y’a pas mieux comme anti-dépresseur, que de faire des paniers de légumes pour les amis, c’est partager son bonheur et sa fierté..voilà pourquoi!
Mais, l’esprit chagrin qui se dandine dans mon cerveau un jour de neige comme aujourd’hui, me susurre un air aquoiboniste du plus mauvais aloi.
Bon allons, un petit catalogue de graines de légumes rares, un bouquin sur les oiseaux du jardin. A ça, on ajoute des haricots du congélateur juste passés à la poêle avec des oignons et de l’ail (si si, il en reste!)
Elle est pas belle la vie ?

Patates…épisode 2

Chut…ça pousse ! Des nouvelles enfin, 2 mois après la “pose” des patates sur l’herbe: Visuellement en tout cas, ça à l’air de bien marcher: les plants se sont très bien développés, les fleurs ont éclos et donc d’ici quelques petites semaines (2 ou3), on commence l’arrachage! Youpie !!

On rappele le principe pour ceux qui ont loupé l’épisode 1:

On tond l’herbe à ras, on pose les pommes de terre germées sur le sol, on recouvre d’une généreuse couche de compost en formant une petite butte triangulaire (environ 25-30cm de haut). Puis à chaque occasion, on ajoute de l’herbe coupée, du gazon, ou de la paille pour bien maintenir l’humidité. Pas d’arrosage, pas d’autres travail que de contempler ces promesses de gratin, de salades et de pommes de terre en robe des champs !!!

Voilà pour les incrédules, les sceptiques, les perplexes les méfiants et autres aporétiques!

 

Airbnb pour mésanges

Cet automne, nous avons décidé de construire deux abris pour mésanges afin de pouvoir les accueillir dans notre jardin. Placés de manière à ce que minets et minettes n’en fassent point royal festin, mais sans être sûres que l’hôtel siérait aux invitées espérées…

Mais, ô belle surprise, depuis quelques jours, nous entendons des pépiements joyeux et juvéniles s’échapper de cet abri manifestement devenu nid!

Lugubre, noire, charbonnière ou azurée, nonnette, bleue, l’identité de la belle est encore mystérieuse… nous ne manquerons pas de vous tenir au courant.

 

Le lundi des patates, le mardi….

Une visite de #Monsieur Jardinier de la RTS me donne l’occasion de raconter comment planter des patates à la manière des fainéants

Écouter l’émission !

Les pommes de terre 2016

Gilles Clément – le jardinier en mouvement

Gilles Clément est né en 1943. Ingénieur horticole de formation, il est devenu architecte paysagiste, écrivain, et bien sûr, jardinier. Tout en enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage à Versailles, et à côté de son activité de créateur de parcs, jardins, espaces publics et privés, il poursuit des travaux théoriques et pratiques autour des concepts de jardin qu’il a développé. En faisant découvrir le jardin en mouvement, le jardin planétaire ou le tiers paysage, il a remis en question l’art des jardins à la fin du XXe siècle. La nature libérée, dans le fond,  le jardinier idéal de Gilles Clément est un jardinier… qui ne jardine pas! Un jardinier qui a confiance dans la diversité qu’elle soit biologique ou bien humaine.
Dans la Creuse, Gilles Clément a créé son jardin secret, la “Vallée”, perdue au milieu des bois. C’est là que les principales réalisations qui ont jalonné la création du paysagiste sont nées, comme le Domaine du Rayol dans le Var, le parc Henri Matisse à Lille ou le parc André Citroën à Paris (qui l’un de mes jardins préférés). En Suisse, il a aménagé l’espace le long du métro à Lausanne (entre Jordils et l’avenue de Cour) et le jardin du siège de l’UEFA à Nyon.

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Bon anniversaire Pro Specie Rara!

Voilà 35 ans que Pro Specie Rara se bat pour la biodiversité et contre la disparition de variétés animales et végétales en Suisse.

Vous connaissez la poule appenzelloise hupée?, la chèvre bottée de Quinten? le mouton roux du Valais?, le bleuet Blauer Junge, le pavot Planète rouge du Jura ou la tomate petite Rouge de Bâle ? Toutes ces variétés ont été sauvées et valorisées par PSR.  Je pourrais continuer mon inventaire poétique car il y a encore, 116 variétés de vigne, 609 de petits fruits, 1905 d’arbres fruitiers et 32 races animales. Quelle obstination ! Alors que (presque) tout va dans la direction de l’uniformisation de la production alimentaire, de la labellisation du vivant par les grands groupes mondialisés, il faut du courage et de la passion pour sauver des variétés locales de fruits qui sont peut-être plus petits, ou moins jolis ( ?) sur l’étal. Mais que dire du goût! De la beauté incomparable de ces animaux ou plantes !

PSR fait aussi œuvre de pédagogie dans se jardins ou dans les manifestations où le public jeune et moins jeune a la possibilité de toucher et de goûter, en un mot de se familiariser pour mieux protéger. C’est notre affaire à tous, jardiniers, agriculteurs et surtout consommateurs car c’est l’avenir de notre sécurité alimentaire qui se joue dans l’accès à la diversité biologique. Les pressions sont constantes et intenses à ce niveau-là:  par exemple, hors du  catalogue des plantes de l’UE, que la Suisse applique, échanges et ventes sont interdits. Grâce un intense lobbying, en 2009, les varités PSR sont admises comme “variétés de niche”. Ouf, on aurait vu disparaître la “charnue de Paudex”, qui n’est pas une jolie vigneronne, mais une belle tomate !

Pour les jardiniers, il est facile d’obtenir des graines soit directement, soit chez  Sativa Rheinau, ou à la Coop qui est partenaire depuis de nombreuses années. On peut aussi participer à la multiplication de graines, démarche passionnante et riche d’apprentissage !

Bon anniversaire Pro Specie Rara ! Vive la diversité !

Site internet de Pro Specie Rara

Vite un compost !

Le compost est un des éléments essentiels au jardin permaculturel. Il nous permet de transformer les déchets en or.. mais si !! “Déchets” de cuisine et surtout surplus du jardin, à savoir tontes de la pelouse, taille des arbres et arbustes, fleurs fanées, feuilles, etc.. tout va au compost !
Un peu de de patience,  pour laisser à nos amis auxillaires le temps de se gaver et de rendre à nos “déchets” un aspect et la qualité d’humus forestier, qui fera merveille au potager.
Il est insensé de voir les déchetteries communales se remplir de tonnes de “déchets” verts, et de constater le même jour à la jardinerie, des clients acheter des engrais et toutes sortes de produits phytosanitaires destinés à enrichir les plantes. Il y a là quelque chose de surréaliste!

Pour construire un joli compost, tout dépend de la surface du terrain et de la grandeur de la famille. Un cercle de treillis peut suffire à un petit jardin, mais dès que l’on dépasse les 1000m. Il est judicieux de voir plus grand.
Par exemple, en créant un compost en palettes de récupération : 5 palettes suffisent pour construire un compost à deux bacs (un pour le frais et l’autre pour les éléments qui sont déjà bien avancés et bientôt prêt à partir au jardin). Un peu de treillis, quelques équerres et le tour est joué !
Quand vous sortirez votre premier compost complétement mûr, vous verrez que “transformer les déchets en ressources” n’est une vaine expression.
L’étape suivante est de se passer presque complémentent de compostage et de pailler directement le potager avec la matière organique broyée. C’est une méthode un peu plus radicale, mais qui me semble encore plus économique. A tester bientôt !

L’ imaginaire des jardins

Au Grand Palais à Paris se tient en ce moment une magnifique exposition sur les représentations du jardin dans l’art de la Renaissance à nos jours. Science jardinière, miroir du monde, espaces protégés symboliques, le jardin à quelque chose à nous dire sur notre rapport au monde et à la nature bien sûr.
“Toute civilisation réussie s’épanouit dans des jardins”, nous dit Jean Delumeau et bien sûr je partage sa vision. Il n’y a qu’à penser aux jardins suspendus de Babylon ou aux jardins arabo-andalous de Grenade, ou encore aux jardins rêvés du peintre Bonnard.
Gilles Clément nous dit que ” Pour faire un jardin, il faut un morceau de terre et l’éternité”, terre nourricière de beauté et bien sûr d’alimentation. L’éternité, car le jardin prend le temps des saisons et des années, il requiert patience, patience et patience…
Dans l’expo, on peut voir des représentations monumentales de domaines jardinés, des miniatures botaniques, des herbiers, et aussi des œuvres d’artistes comme Gustav Klimt, Henri Matisse, William Talbot, Man Ray, etc qui nous disent chacun à leur manière la beauté de la terre jardinée, de la nature domestiquée (la rébellion est cependant toutjours présente et heureusement !)
Bref, à tous les amateurs de jardins, je dis: Courrez-y, mais prenez le temps d’admirer!

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