Au début de l’hiver, écrire un papier sur l’art et la manière de visiter les jardins est un peu à contretemps… mais pourquoi ne pas prendre le temps de lever le nez du râteau à feuilles et préparer de somptueuses visites, la belle saison revenue?
Le tourisme des parcs et jardins, jardins botaniques, arboretum, conservatoires et collections est devenu un business non négligeable en terme de chiffre d’affaire. Les offices du tourisme misent aussi sur ces attractions pour attirer un public large, néophyte ou plus averti. De nombreux ouvrages consacrés exclusivement aux visites de jardins (soit un jardin en particulier ou une sélection régionale) sont publiés chaque année1. Mais à part pour trouver la verte fraîcheur au coeur des canicules, pourquoi aller visiter des jardins ? Plaisir des sens ? Connaissances botaniques ? Histoire et patrimoine ? Toilettes gratuites ? Idées à adapter chez soi ? Eblouissement esthétique ?Cafétéria et boutique souvent un peu chic ? Moment de sérénité dans un marathon touristique ? Promenade sensuelle ? De tout cela un peu, sûrement…
Et au fait, les jardins sont-ils fait pour être visités ? Question de prime abord un peu sotte mais, à bien y regarder, certains jardins, et même la plupart, n’ont pas été conçus comme des attractions publiques. Paradis privés au départ, ils sont entrés dans le patrimoine avec le temps (comme les propriétés “tombées” dans le domaine public, ainsi la majorité des parcs de châteaux ou d’abbayes, par exemple pour les plus connus en France, Versailles, Villandry ou l’abbaye de Fontenay). Certains sont suffisamment vastes et aérés et peuvent accueillir dans de bonnes conditions le public où il est possible, et même recommandé, de s’égayer (Powerscourt en Irlande, par exemple avec ses 18 hectares). D’autres lieux, je pense par exemple à Giverny ou Sissinghurst, sont des jardins intimes et ne tolèrent pas la ruée dont ils sont l’objet. Ici comme ailleurs, “l’overtourisme” est une plaie pour la conservation des jardins et pour les visiteurs (mais pas pour le tiroir-caisse!). Néanmoins, visiter Giverny est possible au printemps précoce ou en automne, à l’ouverture. Sinon, vous serez condamnés à être emporté par un flot de touristes asiatiques qui postent leurs photos en direct sur Instagram, précédés d’une guide énergique mais s’époumonant dans le vide. Vous finirez à l’inévitable boutique où peut-être, que dans un accès de naïveté touchante, vous achèterez des graines de fleurs produites à des centaines de kilomètres, assorties d’un kit de plantation venant de Chine, mais qui vous feront croire que vous allez transformer votre bout de jardin en un ineffable univers impressionniste.
L’art et la manière
Comment visiter un jardin ? Où regarder ? Comment regarder ? Faut-il connaître l’intention du concepteur et de ses successeurs ? Et d’abord, le jardin est-il “nature” ou “culture” ? Question de point de vue, mais il est clair que des exclamations comme “c’est beau!” ou “quel boulot d’entretien!” ne sont pas pertinentes pour apprécier un jardin. Il me semble important d’abord de comprendre de quel univers culturel le jardin est-il un artefact, (de plus un artefact en mouvement, selon les saisons et le temps qui passe). On s’en doute, visiter le jardin d’un temple zen au Japon n’a rien à voir avec la promenade dans Central Park! Selon le type de jardin que l’on visite, il est intéressant de se poser des questions comme : Quel est le concept général, l’intention, le style, l’époque, l’usage du jardin ? Dans quel contexte naturel/bâti/culturel/écosystémique, le jardin prend-il place ? Comment ses éléments ont-ils/vont-ils évoluer ? Quels sont les types de plantes utilisées? Comment les plantes sont-elles agencées ? Quels sont les éléments architecturaux présents? Quelles sont les lignes de force, les perspectives ? Quels effets l’eau, le vent et la lumière ont-ils sur le jardin?
Et comment se comporter dans un jardin ? Cela paraît évident, en le respectant ainsi que le travail des jardiniers, c’est à dire en cheminant sur les chemins balisés (bête à dire mais, que ne ferait-on pas pour une belle prise de vue?), en n’emportant aucune plante, ni bouture, ni même graine à moins d’en avoir l’autorisation !. Choisir la saison, voire l’heure de la journée pour jouir d’une belle lumière, est parfois difficile en voyage, et du coup, il ne faut ne pas hésiter à revenir dans les jardins aimés. Faire des croquis, photos, prendre des notes pour garder des idées, ou faire des recherches ultérieures peut être une bonne idée pour les jardiniers amateurs en quête d’inspiration et de techniques.
Et si vous avez la chance de visiter un jardin avec son propriétaire, gardez à l’esprit que c’est un peu de lui/elle-même que la personne vous offre, donc restez courtois, posez des questions (intelligentes si possible…), et appréciez, sans comparer avec votre propre jardin. Evitez aussi les commentaires du genre: “C’est quoi ces broussailles ? – Vous faites quelque chose ou ça pousse tout seul ?, – Ça je l’ai… et ça aussi je l’ai, – Moi aussi, j’en ai un, mais le mien est plus grand/beau, etc.”
Que visiter ?
Les plus beaux jardins sont, à mon sens, ceux qui expriment une idée, une ligne, un concept qui n’empêchent pas l’âme du jardin de se manifester. En nous promenant dans leurs allées, nous sommes les témoins d’une époque, d’une vision artistique, d’une ambition (de collection ou d’étalage de puissance, et en tous les cas d’une passion, parfois ruineuse). J’apprécie pour leur aspect marquant dans l’histoire des jardins, les grands jardins de châteaux, que l’Europe compte par dizaines, en particulier les jardins anglais et leurs perspectives picturales, souvent crées de toutes pièces. Les jardins à la française m’ennuient parfois par leur rigueur mais sont fascinants de maîtrise. Et certains jardins à l’italienne comme Boboli à Florence, malgré leur magnificence, me donnent l’impression de manger une pâtisserie un peu trop sucrée. Ce sont plutôt les jardins plus modestes dans leur taille, mais pas dans leurs ambitions créatrices qui m’attirent. Les jardins contemporains comme ceux de Gilles Clément (le parc André-Citroën à Paris ou le Rayol dans le Var), ou les buis incroyables de Marqueyssac en Dordogne (jardin du 18ème, mais cependant très moderne dans sa conception) ou encore le jardin Plume en Normandie rencontrent mes aspirations esthétiques. Le Domaine de la Bourdaisière (Indre et Loire) pour son potager et en particulier sa collection unique de tomates, me fait rêver. Les jardins de curés, potagers ou vergers anciens, jardins d’écrivains réveillent en moi la nostalgie de l’enfance et l’émerveillement devant la simplicité bien agencée.
Il y a des jardins pour chaque moment de la vie, celui pour se coucher au pied d’un arbre centenaire, celui pour rendre hommage à des arbres ou des plantes rares, celui pour apprendre, celui qui nous impressionne par sa majesté et sa grandeur, celui qui nous fait découvrir des perspectives inattendues, celui qui nous stupéfie en exprimant la collectionnite du propriétaire, celui que l’on visite en hiver, celui qui sert de décor aux photos de mariage, celui qui nous rend jaloux, celui qui sert de cadre à un pique-nique, celui qui nous révèle l’intime de son propriétaire. Je ne parle pas ici de certains jardins chichiteux, conçus par des designers pour de fortunés propriétaires, et qui ne font pas illusion bien longtemps. Rien qu’en France, 20’000 jardins sont inscrits à la liste française “des parcs et jardins protégés au titre des monuments historiques”. Le label “Jardin remarquable” rassemble 443 jardins de propriétaires primés pour leur intérêt esthétique ou botanique et qui sont ouverts au public au moins 50 jours par année. Pour les “voyageurs de jardins”, le Royaume-Uni, est une source inépuisable de découvertes, mais n’oublions pas les autres pays européens. Le Japon, les Etats-Unis, l’Asie continentale possèdent aussi de forts beaux parcs et jardins, bref, ce n’est pas le choix qui manque.
Alors on va aux jardins ?
Lectures complémentaires: Alessandro Natali: Guide des jardins remarquables, 55 parcs et jardins de Suisse romande et France voisine, éd. Nicolas Junod, 2017.
Louisa Jones : L’art de visiter un jardin, Actes Sud, 2008
Umberto Pasti/ Pierre Le-Tan : Jardins: les vrais et les autres, Flammarion, 2011
Alain Baraton : Dictionnaire amoureux des jardins, Plon 2012
- Les plus beaux parcs et jardins de France, publié par les Guides Michelin ou encore Jardins de jardiniers, publié par Phaidon, et qui offre une sélection mondiale[↩]