Telle est la définition du jardin selon Gilles Clément. Je suis tellement (souligné 3 fois) en accord avec lui. En vrai, je suis presque toujours en accord avec lui, celles et ceux qui me lisent le savent…
Mais allons un brin plus loin : cet espace mental, quel est-il ? C’est celui du désir qui guide la main du jardinier et de la jardinière, le désir de voir pousser cette plante que je sème, de croître ces arbres de perspective, de voir prospérer ces légumes, de voir s’installer les, peu poétiquement désignés, auxiliaires du jardin. Il s’agit de créer un paysage issu d’une rencontre entre un environnement donné, un contexte, et un imaginaire bien souvent culturellement influencé, les trois dans un incessant mouvement de recherche d’équilibre.
Dans mes rencontres et dialogues avec des jardiniers amateurs comme moi, je constate souvent la profondeur du fossé entre le désir, l’espérance et la réalité vécue. “Mon jardin, c’est une cata…tous mes légumes ont été bouffés par les limaces… j’arrive pas à faire pousser des carottes, mon gazon est plein de mousse et de mauvaises herbes, mes cerises sont habitées”…, et tant d’autres espérances déçues.
Mais rassurez-vous, amis jardiniers, le syndrome “Power Point” contre-attaque! Vous avez vu ces interpellations sur internet? 3 choses à savoir pour cultiver la salade, 5 pièges à éviter pour de belles tomates, 4 engrais naturels indispensables, etc… C’est la liste à puces de nos désirs, celle qui simplifie le monde, celle qui vous fait croire que vous allez réussir à tous les coups en suivant des recettes éprouvées (5 trucs de grand-mère pour… !!). Il n’y pas que la jardinage qui est atteint du syndrome : 4 mois pour courir la marathon, 10 trucs pour réussir le bac, ranger vos armoires une fois pour toutes, et bien sûr le top du top: un mois pour perdre 10 kilos!
On économise ainsi notre temps d’intelligence et nos efforts. C’est l’inflation de la simplexification (c’est à dire de rendre simple ce qui est complexe: Une chose simplexe est une “chose complexe dont on a déconstruit la complexité que l’on sait expliquer de manière simple” , Edgar Morin). On la voit à l’oeuvre dans les bouquins de jardinage aussi: “Le potager du paresseux”, “Simplissime, le jardinage”, “Le jardin facile”, etc. Ces livres ont peut-être le mérite d’encourager les débutants à se saisir de la pelle et du rateau, au risque de leur faire croire que tout est simple et facile et de les exposer à de cruelles désillusions. Le risque aussi est celui de faire de gros dégâts dans la nature de leur jardin. Si, pour finir, découragés, ils abandonnent leurs efforts, la nature a toutes les chances de se recréer en liberté, ce qui est d’une ironie qui ne me déplaît pas…
Le jardin, s’il est d’abord un espace mental, comme le dit Gilles Clément, est aussi un lieu d’observation respectueuse, un lieu de connaissance, un lieu, bien sûr, de travail parfois méticuleux parfois physiquement pénible… toujours humble. La capacité a être surpris, la patience, le lâcher-prise, l’adaptation, la propension à expérimenter sans vouloir réussir à tous les coups, sont les qualités fondamentales des jardiniers qui veulent transformer avec douceur et respect le paysage de leur jardin pour qu’il rencontre leur paysage mental espéré.