Le plastique c’est fantastique, disait-on dans les joyeuses années 60. Le congélateur, c’est encore meilleur, bref pour conserver les produits du verger et du potager, rien de mieux. Mais le vent a tourné, les océans sont des mares de plastique et le bocal en verre fait un retour fracassant (surtout quand on le lâche…) dans nos contemporaines cuisines. Et pourtant quelle histoire !

Conserver les récoltes, ne pas souffrir de la faim et ne pas s’empoisonner ont été des préoccupations séculaires pour les humains: salaisons, saumure, conservation dans le sucre ou le vinaigre, fermentation, dessiccation à l’air ou au feu, fumage, beaucoup de solutions ont été utilisées pour garder les aliments. La stérilisation et la mise en conserves sont nées au 19ème siècle après des inventions et découvertes successives de Nicolas Appert, Denis Papin et bien sûr Louis Pasteur. La firme allemande Weck fondée à la fin du 19ème, introduit les fameux bocaux à l’emblème de la fraise et permet la stérilisation du lait, la conservation “en l’état” de fruits, de légumes et de viandes, ce qui révolutionne l’alimentation.

En Suisse, la firme Glashütte Bülach (ZH) est née en 1891 mais c’est juste après la première guerre mondiale, quand la pénurie de bocaux Weck se fait sentir, que le Conseil fédéral d’alors ordonne la fabrication suisse de “bouteille à cuire” à Bülach. Lancée en 1920, la bouteille est close par un bouchon en porcelaine et un élastique en caoutchouc. Le célèbre bouchon en verre avec son étrier en acier, ainsi que le verre vert qui fait la notoriété de la marque sortent en 1924. D’ailleurs, cette couleur si reconnaissable, synonyme de qualité, est due à un manque de matières premières. La firme fait une promotion efficace de son bocal, si bien qu’on trouve dans toutes les cuisines helvétiques.

Pendant la seconde guerre mondiale, les usines de Bülach tournent à fond et proposent des innovations avec de nouveaux diamètres de cols, de nouveaux formats. Avec l’invasion du plastique et l’introduction du congélateur dans presque tous les foyers, la production chute, si bien que la verrerie Bülach ferme en 1972. Associée au groupe Vetropak depuis 1917, (issu lui des verreries de St-Prex), elle est complément démantelée en 2002. Le groupe Vetropack est aujourd’hui l’un des principaux fabricants de verre d’emballage en Europe. Il emploie plus de 3 000 personnes et exploite huit usines de verre en Suisse et en Europe. Pour poursuivre l’histoire, sachez encore que le site de l’usine zurichoise est en pleine reconversion et que, en 2023, un quartier baptisé “Glasi” de 560 appartements et 20’000 m2 d’espace commerciaux verra le jour. Je ne sais pas encore si des parcelles de potager sont au programme…On pourrait ainsi boucler la boucle en quelque sorte.

L’usine de Bülach avec devant les parcelles de potagers pour les ouvriers (1924),
source: buelachansichtskarten.ch

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Aujourd’hui, le bocal en verre, symbole impeccable de transparence et de vertu écologique fait son grand retour. Les aficionados du zero-waste, du fait-maison, de la lacto-fermentation, de la stérilisation sont de plus en plus nombreux. Les achats en vrac, les plats servis en bocal, l’esthétique vintage, tout y est pour créer un trend. L’allemand Weck, l’américain Ball Mason Jar et le français Le Parfait se partagent un marché en pleine expansion et notre joli bocal national a disparu au point de devenir en quelques années introuvable même dans les brocantes… Je me souviens des étagères de la cave de ma grand-mère où étaient alignés bocaux de légumes et de fruits, bouteilles de sauce tomates et confitures, promesses de délices à venir. Certain-es se rappellent d’en avoir balancé dans les bennes à verre de la déchèterie, faute de leur trouver un usage. Quel drame !

bocaux Bülach
Bocaux, 1948 (musée suisse du design Zürich)

Aujourd’hui, je conserve en bocaux une partie de la production de mon potager pour en retrouver les saveurs en plein mois de février. Le congélateur est nettement moins poétique, plus électrique et j’adore voir ces rangées rassurantes de bocaux. Ouvrir un bocal en tirant la languette de caoutchouc et d’entendre le petit pfuit de l’air a quelque chose d’immémorial (même si ce n’est qu’un siècle…).

Bon, vous l’avez compris, si vous avez des bocaux Bülach dont vous ne savez que faire, faites-moi signe !!

Source: buelachansichtskarten.ch