Oui, nous sommes chanceux, nous les heureux propriétaires de jardins, de balcons, d’un bout de terrain quelqu’il soit. Oui, nous pensons à celles et ceux qui sont confinés dans un appartement en ville et oui, quand les récoltes seront venues nous partagerons! Au temps du coronavirus, et de son cortège de souffrances morales et physiques, les jardiniers sont plus que fortunés. Sortir, respirer, écouter les oiseaux que l’on n’a jamais si bien entendu, observer la nature faire son oeuvre sans nous, mettre les mains dans la terre, semer, regarder pousser. En plus, c’est avril, notre mois de résurrection.

Je mets mes sabots de jardin et par une petite mais ensoleillée fricasse matinale, je fais le tour de mon coin de paradis en guettant le moindre changement. Les bruits du monde sont loin, très loin. Je regarderai les courbes d’évolution de la pandémie devant mon café et je me mettrai devant l’ordi pour ma dose quotidienne de télétravail. Je noterai au passage que le Conseil fédéral a décidé d’assouplir la règle afin d’autoriser le commerce de graines et de plantons (bien sûr, en respectant les règles sanitaires, qui soit dit en passant, sont devenues des réflexes, aussi vite que le sentiment de danger nous est tombé dessus). Il semble juste d’éviter les gaspillages de plantons de légumes, de fleurs qui ont été soignés par de vaillants horticulteurs et de servir des jardiniers amateurs qui ne demandent qu’à faire pousser leurs choux. Je ne sais pas si l’autoproduction de légumes par les particuliers a été quantifiée, mais elle n’est sans doute pas négligeable. Produire chez soi, c’est diminuer l’importation de légumes depuis l’étranger, c’est participer à l’autonomie alimentaire du pays, c’est bien sûr consommer des aliments plus sains, pour autant que l’on se passe d’intrants chimiques, évidemment. Mais, la débrouille a un côté bien charmant et donne un sentiment de joie quand on réussit à faire avec moins, à faire plus lentement ou à contourner les difficultés.

Ce matin, par visioconférence, je faisais voir à une amie jardinière du bout du canton, l’état de mes semis de tomates. Elle me montra sa plantation de pommes de terre. Quel drôle de dialogue à distance, nous qui adorons visiter nos jardins, échanger des trucs et des graines, partager nos découvertes et nos astuces. Et l’on se met à s’envoyer des graines ou les poser dans la boîte à lait du voisin, échanger des infos du style: “Tu as vu, à Mézières, y ‘a un gars qui met à disposition des plantons bio?”, ou bien “Eh! y’a un arrivage de terreau à semis chez X, dépêche-toi, y ‘en a pas beaucoup!” ou encore “J’ai fait trop d’aubergines, qui en veut ?” C’est tout un réseau d’échanges d’info ou de matériel qui se crée, de manière organique et spontanée, qui porte haut le drapeau de la générosité et de l’entraide, à l’image des réseaux de solidarité mis en place, très vite au début de la crise sanitaire. Cela participe à me donner espoir, après m’être navrée en constatant les achats de hamster de certains de nos concitoyens (du PQ pour 3 ans !)

Il faudra sans doute beaucoup de temps pour décrire ce qui nous arrive, pour comprendre et digérer cette crise sans précédent, mais, et c’est un truisme que de le dire, nous apprenons beaucoup et très vite: la solitude, la lenteur, le temps long, la peur, la solidarité, l’attention aux autres, la générosité et j’en passe…

Au jardin, nous apprenons à ne pas avoir tout ce que souhaitons, nous apprenons à demander et à donner de l’aide. Nous apprenons aussi la gratitude, nous gardons un équilibre mental, parfois précaire, en plantant des arbres ou des radis. Mais, lever le nez de son râteau et regarder le monde derrière notre haie, est un devoir d’humain. Il ne tient qu’à nous, bienheureux jardiniers, de ne pas être des égoïstes confinés dans nos jardins, mais jardiner, ça oui, plus que jamais!

Prenez soin de vous les amis, jardiniers ou non !