Étiquette : éthique

L’éthique au jardin

Il est bon, parfois, de relever le nez de ses plates-bandes et d’envisager ce que l’éthique peut nous apporter, à nous jardiniers. 

Allons donc faire un tour du côté de l’éthique du “care”. Cette éthique pensée par Carol Gilligan dans les années 80, était à l’origine réfléchie pour le domaine des soins, de la dépendance, puis développée autour des questions de genre, de l’éthique des affaires, de la gestion des ressources humaines, etc.  

En envisageant notre rapport à la vulnérabilité, à la fragilité ponctuelle ou permanente, à l’interdépendance, qui sont des conditions ontologiques de l’existence humaine, l’éthique du « care » remet en question  l’utilitarisme économique et  l’idéal d’indépendance. Ce faisant, elle propose un modèle basé sur l’attention à l’autre, la responsabilité, la confiance et l’altruisme. Dans cette perspective, soi et les autres ne sont pas séparés, mais rassemblés dans un entrelacs de relations et de co-responsabilités.

On perçoit déjà ici que cette vision systémique  peut nous amener à réfléchir notre relation collective et individuelle au vivant non-humain, et à la nature dans son ensemble. Si l’on exclut les mouvements qui prônent le retour à une nature sauvage (wilderness), l’éthique du « care » a beaucoup à apporter à ceux qui se questionnent sur la relation humain-nature. En effet, en mettant au centre l’interdépendance au sein du vivant -notion complètement niée par nos sociétés contemporaines-, l’éthique du « care », met en lumière  notre nécéssaire attention et notre responsabilité collective vis-à-vis de la vulnérabilité des écosystèmes, de l’air, de l’eau, de la biodiversité, etc. 

Notre terre étant devenue fragile, à force de cupidité, l’éthique du « care », initialement pensée dans un contexte individuel ou collectif à petite échelle,  fournit de nouveaux éléments pertinents de réflexion sur notre relation à cette vulnérabilité et à la nôtre en tant qu’individus, parties prenantes de ce sytème. 

Il est évident que si nous percevons la nature comme un « non-moi » à disposition de nos besoins, il nous sera difficile d’adopter une posture de responsabilité vis à vis d’elle. On peut tenter de résoudre cette difficulté par l’attention que nous portons vis-à-vis du bien-être des générations futures, ou la souffrance humaine lors de catastrophes liées au climat, à la modification d’un paysage, etc. 

Le « care » « à distance » dans le temps et l’espace,  peut-il motiver les individus à modifier leurs comportements environnementaux ? Peut-il nous aider à tourner le guidon et adopter des attitudes plus responsables et vertueuses ?  De nombreuses recherches en psychologie sociale tentent de répondre à la question de la motivation au changement dans le contexte de crise climatique et des réponses intéressantes sont émises. Par ailleurs, le travail est aussi individuel, dans le sens de la bienveillance à soi-même, au pardon, à l’expression de l’impuissance et de la colère, de la peur, de la peine, (etc.) afin de sortir du déni et des stratégies de protection et entrer dans une dynamique de sollicitude vis à vis de la vulnérabilité de la nature  (voir à ce propos les apports de l’écopsychologie).

L’éthique du « care » qui est une éthique de l’action, distingue 4 phases intimement liées : 

  1. Caring about: constater l’existence d’un besoin et évaluer la possibilité d’y apporter un soulagement direct ou indirect. L’élément éthique est ici l’attention
  2. Taking care of: reconnaître une certaine responsabilité et  déterminer la réponse à apporter. L’élément éthique est la responsabilité
  3. Care-giving:  effectuer un travail effectif de soin qui vise à réduire la souffrance. L’élément éthique ici est la compétence
  4. Care-receiving: reconnaître que le « sujet » de la sollicitude réagit au soin et qu’il possède la capacité à le recevoir. Il s’agit donc de prendre le feed-back de nos actions. Et la boucle recommence au début.

Amis jardiniers, tout cela vous dit quelque chose, bien sûr. Quand vous irez le soir arroser quelques fleurs ou salades assoiffées, enlever quelque herbes indésirables, rappelez-vous de l’éthique du « care ». 

Mais rappelons-nous surtout que le monde ne s’arrête pas à la clôture du jardin et qu’il nous appartient d’exercer notre responsabilité bienveillante sur notre environnement.  


Bibliographie

GILLIGAN C. [1982], Une voix différente, 2008, Paris, coll. « Champs Essais », Flammarion.

LAUGIER S. [2012], Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, coll. « Petite Bibliothèque Payot », Payot et Rivages

TRONTO J. C. [1993], Un monde vulnérable : pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009.

Faire la paix…

Dans les jardins de Suisse romande, en une quarantaine d’années, les choses ont bien changé. J’en parle car, en 2020, l’émission dominicale de la RTS “Monsieur Jardinier” célébrera les 40 ans de sa création. Je ne fais pas ici oeuvre de sociologue ni d’historienne, mais de simple observatrice. En 1980, la villa individuelle assortie de son gazon, son allée de rosiers et de sa haie de thuya constituait pour de nombreux Helvètes la promesse de la félicité domestique. Mais cette ataraxie bien ordonnée était souvent troublée par des hôtes indésirables, des parasites du plus mauvais aloi, des “mauvaises herbes”, ou encore les résultats esthétiques ou de production insuffisamment conformes aux attentes. L’émission de conseils de jardinage a donc connu un succès immédiat tant la soif de conseils éclairés était grande, et d’ailleurs, ne se dément pas aujourd’hui. Mais qu’est ce qui, en 40 ans, a changé dans nos pelouses? Je me souviens, pour l’avoir entendu souvent, des questions du genre :”Il y a une poudre blanche sur mes rosiers, des taches sur mon gazon, des pucerons dans mes choux, etc., que faire pour y remédier?” Les réponses des experts de l’époque, souvent assorties de conseils du genre: “Utilisez un produit X, pulvérisez avec Y, arrachez, taillez ! ” reflétaient bien dans l’air du temps… et je ne leur en fait pas reproche.

Depuis 2003, l’émission a banni toute référence aux produits phytosanitaires et je pense qu’elle a fait oeuvre de précurseur dans ce domaine et influencé de nombreux Romands vers une prise de conscience écologique. Certes, les questions des auditeurs sont encore les mêmes, mais les réponses diffèrent sensiblement, on y parle paillage, purins végétaux, taille raisonnée et surtout connaissance et acceptation de la nature, de ses cycles et de ses fantaisies. De nouvelles préoccupations, de nouvelles envies se manifestent: “Comment installer une prairie fleurie ? Accueillir les oiseaux, les abeilles ? Faire un petit potager au bas de mon immeuble ou cultiver sur mon balcon?” L’émission accueille aussi naturalistes, biologistes, géologues complétant une équipe de paysagistes et horticulteurs-trices, et peut satisfaire une vrai appétit pour les mystère de la nature: “Qu’est ce qu’est cette plante, cet insecte, cette graine? On y discute péponide, cotylédons, gymnosperme, anémogamie, marcescence, saxicole, miroir de Vénus ou gymnocarpe de Robert, et tout ça à 6 h du matin, c’est fort , hein?

Les enjeux climatiques, la chute dramatique de la biodiversité en Suisse sont, bien sûr, en arrière fond de cette évolution et l’oeuvre de pédagogie est ici capitale: la compréhension des besoins des plantes et animaux, la connaissance des sols, la mise en lumière de la complexité des systèmes écologiques, a, je pense, fait évoluer la perception des Romands de leur bout de jardin. Les conseils donnés par les pros ne sont jamais culpabilisants et, au contraire, encouragent les plus sceptiques à tenter de nouvelles voies, plus écologiques. Une relation plus apaisée, plus aimante avec notre environnement (immédiat) se développe. Bien sûr, la maîtrise reste un élément central mais l’émission nous offre même quelques moments de pure philosophie et de contemplation émerveillée.

Ringard, Monsieur Jardinier ? Bien au contraire, l’oeuvre est de salubrité publique, tant les zones villas qui ont envahi nos campagnes peuvent être de formidables chances pour la restauration de la biodiversité, pour peu que, nous les jardiniers, acceptons de faire la paix avec le vivant de nos jardins. En cela elle est un reflet de l’évolution de notre relation à la nature et à la nature domestiquée en particulier. Il y aurait là matière à une étude sociologique. En attendant, pour écouter par vous-même, vous êtes même pas obligés de vous lever à 6h. le dimanche matin! La page de l’émission vous offre tous les podcasts :

https://pages.rts.ch/la-1ere/programmes/monsieur-jardinier/

C’est ici !

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