Auteur : Christine Page 1 of 5

Je ne sais pas si ma plume sera à la hauteur de l’exercice, je doute, voyez-vous. Entrer dans le jardin de Sissinghurst[1], c’est comme entrer dans une cathédrale. Vous êtes interloqués, et dans un premier temps vous ne savez où poser le regard. Atteint de boulimie de couleurs et de formes, de vues et de perspectives, il faut s’arrêter au milieu du festin au risque de la saturation. 

On reprend son souffle : Nous sommes dans le Kent, le bien-nommé jardin de l’Angleterre, une sorte de graal pour les amateurs de jardin à l’anglaise.  

Le jardin de Sissinghurst a une histoire, bien sûr, celle de ses créateurs, l’écrivaine Vita Sackville West (1892-1962) et Harold Nicolson (1886-1968), diplomate, homme politique, et auteur lui aussi.

Vita est née de très très bonne famille, au château familial de Knole, situé à quelques encablures de Sissinghurst. A la mort de son père, et selon la loi anglaise, elle n’hérita pas. Ce fut l’occasion de controverses et pour elle d’une tristesse tenace face à la perte de ce domaine et de son château de 400 pièces (qui se visite aussi, par ailleurs). 

L’achat de Sissinghurst en 1930 est probablement une manière de résoudre cette perte. Vita, née avec une cuillère en or dans la bouche n’a pas beaucoup travaillé dans sa vie, au sens ou l’on l’entend aujourd’hui. Non, elle a mené une vie aristocratique mondaine exubérante, de réceptions, de voyages et surtout d’écriture. On lui doit de nombreux poèmes, des romans, récits de voyages et des articles sur le jardinage. C’était certainement le genre de femmes sur qui tous les regards se tournaient quand elle faisait son entrée. Liée par un mariage très libre avec Harold Nicolson, elle fut la compagne de nombreuses femmes et en particulier de l’écrivaine Virginia Woolf, avec qui elle eut une relation passionnée et complexe de plusieurs années. Harold lui aussi avait des aventures masculines, mais ce couple, atypique pour l’époque, était lié par une profonde affection. Ils auront ensemble 2 fils  et…un jardin !

Approchons-nous donc de ce jardin enchâssé dans la campagne vallonée et boisée du Kent. Visibles de loin les deux tours en briques du château de Sissinghurst ainsi que les séchoirs à houblon, si caractéristiques de la région, nous indiquent la direction à suivre. Le château du 15ème siècle a connu bien des avatars avant d’être acheté en 1930 par Vita et Harold. Il fallait être visionnaire pour imaginer le potentiel du jardin en friche, rempli de déchets et du château élisabéthain totalement inhabitable, car en ruine à cette époque. 

Vita et Harold ont uni leur talent et leurs moyens financiers : lui l’architecte, elle la jardinière enthousiaste, pour en faire un des plus beaux jardins d’Angleterre (ce n’est pas moi qui le dit…). Vita n’était pas une professionnelle du jardinage mais elle était animée d’une passion pour l’expérimentation et n’a pas hésité à procéder par essais-erreurs, en laissant les plantes vivre leur vie, se ressemant (ou pas…).  Sissinghurst ne fut d’ailleurs pas son coup d’essai : Sa première propriété, son premier jardin, situé non loin de là, à Sevenoaks, lui servit d’apprentissage. Voyageuse, elle se fit fort d’acclimater des plantes, à l’image des explorateurs botaniques anglais des siècles passés.

Vita Sackville-West a appliqué à Sissinghurst quelques principes, qu’elle a développé dans ses chroniques hebdomadaires sur le jardinage dans l’Observer (In your Garden) et dont les jardiniers actuels peuvent sans aucun doute s’inspirer : 

1. Si quelque chose ne plaît pas ou n’est pas à sa place, on l’enlève. 

2. Ne pas essayer de tout contrôler : laisser les plantes vivre leur vie 

3. Avoir un plan architectural, saisonnier et de couleurs

Le résultat ouvert au public, en 1937 déjà, est époustouflant. Aujourd’hui géré par le National Trust, le jardin est visité par un public nombreux qui ne s’y trompe pas. Dès les premières floraisons printanières, le parking se remplit d’amateurs, plus ou moins attentifs et éclairés d’ailleurs. A ce propos, je vous conseille de vous y rendre soit à l’ouverture soit en fin de journée, ou mieux encore, lors d’une nocturne de fin d’après-midi, ou les photographes profiterons d’une douce lumière rasante. Pour les passionnés, il faut au minimum une journée pour en apprécier toutes les richesses.

Une des particularités de Sissinghurst est, qu’il est, pour une part importante, un jardin de chambres, c’est à dire composé d’espaces thématiques séparés, ceints de murs ou des haies. On y chemine d’une chambre à l’autre avec le sentiment de pénétrer dans l’espace intime de ses créateurs. A chaque entrée dans une nouvelle chambre, c’est un effet woaw ! : La conception chromatique, l’exubérance de plantes et de fleurs parmi lesquelles arbustes, rosiers et pivoines font office d’architectes en créant des tableaux extraordinairement harmonieux et poétiques. La surcharge et le kitsch sont un risque avec cette profusion de formes et de couleurs. Mais, il y a toujours un recoin, un banc à l’écart, une allée vers lesquels on peut se tourner pour reposer ses yeux et apaiser ses émotions. Une des réalisations les plus célèbres à Sissinghurst sont les chambres monochromes, le jardin blanc en particulier, dans lesquels, quelle que soit la saison, il se passe quelque chose… du grand art ! 

Il ne faut pas faire l’impasse sur les alentours du château qui font partie intégrante du domaine : le potager, d’abord, fantastique de rectitude et d’abondance qui nourrit les nombreux bénévoles-jardiniers ainsi que les visiteurs, la ferme et ses moutons (so british !), les lacs, les prairies rases, la forêt fraîche où se mêlent arbres centenaires, fougères et jacinthes au printemps. Il faut s’accorder du temps et flâner dans les prairies fleuries du verger et ses allées tondues à ras et observer les petits nuages moutonnants poussés par la brise. 

Imaginez l’armée de bénévoles nécéssaire, guidés par les jardiniers professionnels au savoir-faire impeccable, pour planter, entretenir, tailler, couper les fleurs fanées, balayer les allées afin que les visiteurs bénéficient d’une perfection dont personne n’oserait rêver pour son propre jardin. 

Au fond, Sissinghurst est une sorte de rêve d’un monde idéal où se réfugier à l’écart des bruits et de la fureur du monde, le leg d’une femme et d’un homme qui ont eu les moyens et l’enthousiasme pour le réaliser et qui ont permis aux amateurs et au simple péquin de toucher la grâce et la beauté, avant de rentrer chez soi plein d’énergie et d’inspiration.


[1] https://www.nationaltrust.org.uk/sissinghurst-castle-garden

Folles pivoines et folle histoire

Vous connaissez peut-être ma passion pour les pivoines… En consultant l’ouvrage de Franck Sadrin et Julien Joly (Pivoines : histoire, botanique et culture, Ulmer, 2016), je découvre un personnage dont je ne résiste pas à l’envie de vous faire connaître la vie incroyablement romanesque et son lien avec l’univers exubérant des pivoines. 

Il s’agit de Joseph Francis Rock. Né à Vienne en 1877, fils du concierge du comte Potocki, dont il dérobe à 13 ans un livre d’apprentissage du chinois. Livre qu’il étudie en cachette, au point de rapidement maîtriser la langue. Très doué pour les langues, il apprend également l’arabe, l’hébreu, le grec et le latin. Destiné à la prêtrise par son père, il fugue et vagabonde en Europe puis voyage aux Etats-Unis et à Hawaï où il enseigne à l’Université la botanique (probablement avec un faux diplôme), matière qu’il n’avait jamais étudié lui-même, semble-t-il, mais qui le passionne au point d’avoir toujours une longueur d’avance sur ses étudiants. Il devient un chasseur de plantes réputé et est envoyé par l’Université en expédition botaniste. 

Il se rend en Chine pour la première fois en 1913, première de nombreuses expéditions mandatées par le Département d’agriculture des Etats-unis ou par le National Geographic.

Il faut s’imaginer l’immense territoire chinois de l’époque comme un espace à explorer pour de nombreux aventuriers, scientifiques et autres missionnaires jésuites. Le territoire est constellé de baronnies et d’un patchwork d’ethnies déchirées par d’incessants conflits. On se rappelle que Joseph Francis Rock connaît le chinois, ce qui est naturellement un grand avantage pour lier facilement des liens avec les habitants et princes de tribus. Rock s’installe dans la province du Yunnan dont il fera la base arrière de ses expéditions.

Gansu, vers 1925, photographie de F.J. Rock, fonds Université Harvard

Il s’attache les services d’une petite troupe de Naxis, une ethnie locale, avec laquelle il entretiendra toujours des rapports étroits au point de rédiger un dictionnaire linguistique. Financé par le National Geographic, et certainement par les dons de chefs de tribu, il mène une vie flamboyante et romanesque de dandy exubérant, avec un goût certain de la mise en scène : ses caravanes d’exploration, avec matériel abondant, chevaux, yaks, bannières et troupes en tête, impressionnent les notables et les populations locales. Il fait jouer des airs d’opéras sur son gramophone, confortablement installé dans la nature, très correctement nourri de mets européens et d’alcools fins qu’il fait importer. Sa baignoire pneumatique lui permet de prendre des bains même en pleine montagne. Il se ruine en achats de chapeaux, cannes, chaussures et vêtements à la mode parisienne, à Kunming,  ville construite à la française  où régnait une délicieuse atmosphère mondaine, entre consulats, villas coloniales, avenues bordées de platanes  et boutiques  « Au Vrai Chic Parisien ».

Durant son long séjour au Yunnan, Rock reçoit la visite d’un officier nazi, qui cherche au Tibet les preuves que la race aryenne descend d’une race montagnarde archaïque. Il garde ses distances en étant très conscient des dangers du fascisme, comme de ceux du communisme, ce qui l’incite à entreprendre un grand travail de préservation, dans le domaine écologique comme dans le domaine culturel (envoi en Europe et Amérique de specimen végétaux, achat et études de manuscrits, étude des traditions médicales, etc.). Photographe, géographe, botaniste, linguiste, Rock multiplie les talents. Ses écrits et photographies sont conservés aujourd’hui à l’Université de Harvard et à la Bibliothèque du Congrès.

Nous arrivons aux fameuse pivoines: C’est lors d’une de ses expéditions, en 1925, que Rock découvre un exemplaire d’une pivoine inconnue, aux larges fleurs blanches, en pleine floraison, dans le jardin de la lamaserie de Choni au nord du Tibet, à près de 3000 mètres d’altitude. Rock ne l’avait jamais vue dans la nature et il est absolument certain que la pivoine est sauvage, et non le résultat d’une hybridation. Il n‘a cependant pas pu récolter de graines, étant reparti avant l’automne. Et là, l’histoire devient mystérieuse, car on ne sait pas comment il a finalement obtenu des graines de cette plante : ont-elles été offertes par le prince de Choni, récoltées par un membre de sa troupe ? Etaient-elle véritablement issues d’une espèce botanique unique ? Que sont-elles devenues ? Une partie de l’histoire restera sans doute dans l’ombre, la lamaserie ayant été détruite et le jardin rasé et brûlé dans un conflit tribal vers 1928, le prince et lama de Choni tué à cette occasion. Quoiqu’il en soit, il semble qu’il y ait trois jardins botaniques (Arnold Arboretum à Harvard, Kew Royal botanic garden et Botanical garden à Edimbourg) qui ont reçu ces graines et qui donneront plus tard des hybridations de Paoenia rockii.

J.F. Rock avec le prince et lama de Choni, vers1926

De son côté, Joseph Francis Rock  pérégrine dans le monde avec de nombreux allers et retours en Chine jusqu’en 1949, année où, la situation de guerre civile le contraint à quitter définitivement le pays, pour finalement s’installer à Hawaï ou il mourut en 1962. 

Les hybrides de pivoines rockii sont assez peu nombreuses, de couleurs classiques claires, le plus souvent blanches, et  portent une macule de couleur noire ou pourpre à la base de chaque pétale. On les trouve aujourd’hui dans les  catalogues des grands obtenteurs. Ce sont de magnifiques arbustives pouvant atteindre les 2 mètres à maturité. Certaines sont aussi exubérantes que Joseph Francis Rock lui-même, c’est dire !

Pour ma part, je n’en possède pas dans mon jardin, mais qui sait ?

Note: pour la rédaction de cet article, j’ai consulté le blog: http://josephfrancisrock.free.fr et la base de données photographies de l’Université de Harvard, restituée sur: http://pratyeka.org/rock/


Jardiner… plus que jamais

Oui, nous sommes chanceux, nous les heureux propriétaires de jardins, de balcons, d’un bout de terrain quelqu’il soit. Oui, nous pensons à celles et ceux qui sont confinés dans un appartement en ville et oui, quand les récoltes seront venues nous partagerons! Au temps du coronavirus, et de son cortège de souffrances morales et physiques, les jardiniers sont plus que fortunés. Sortir, respirer, écouter les oiseaux que l’on n’a jamais si bien entendu, observer la nature faire son oeuvre sans nous, mettre les mains dans la terre, semer, regarder pousser. En plus, c’est avril, notre mois de résurrection.

Je mets mes sabots de jardin et par une petite mais ensoleillée fricasse matinale, je fais le tour de mon coin de paradis en guettant le moindre changement. Les bruits du monde sont loin, très loin. Je regarderai les courbes d’évolution de la pandémie devant mon café et je me mettrai devant l’ordi pour ma dose quotidienne de télétravail. Je noterai au passage que le Conseil fédéral a décidé d’assouplir la règle afin d’autoriser le commerce de graines et de plantons (bien sûr, en respectant les règles sanitaires, qui soit dit en passant, sont devenues des réflexes, aussi vite que le sentiment de danger nous est tombé dessus). Il semble juste d’éviter les gaspillages de plantons de légumes, de fleurs qui ont été soignés par de vaillants horticulteurs et de servir des jardiniers amateurs qui ne demandent qu’à faire pousser leurs choux. Je ne sais pas si l’autoproduction de légumes par les particuliers a été quantifiée, mais elle n’est sans doute pas négligeable. Produire chez soi, c’est diminuer l’importation de légumes depuis l’étranger, c’est participer à l’autonomie alimentaire du pays, c’est bien sûr consommer des aliments plus sains, pour autant que l’on se passe d’intrants chimiques, évidemment. Mais, la débrouille a un côté bien charmant et donne un sentiment de joie quand on réussit à faire avec moins, à faire plus lentement ou à contourner les difficultés.

Ce matin, par visioconférence, je faisais voir à une amie jardinière du bout du canton, l’état de mes semis de tomates. Elle me montra sa plantation de pommes de terre. Quel drôle de dialogue à distance, nous qui adorons visiter nos jardins, échanger des trucs et des graines, partager nos découvertes et nos astuces. Et l’on se met à s’envoyer des graines ou les poser dans la boîte à lait du voisin, échanger des infos du style: “Tu as vu, à Mézières, y ‘a un gars qui met à disposition des plantons bio?”, ou bien “Eh! y’a un arrivage de terreau à semis chez X, dépêche-toi, y ‘en a pas beaucoup!” ou encore “J’ai fait trop d’aubergines, qui en veut ?” C’est tout un réseau d’échanges d’info ou de matériel qui se crée, de manière organique et spontanée, qui porte haut le drapeau de la générosité et de l’entraide, à l’image des réseaux de solidarité mis en place, très vite au début de la crise sanitaire. Cela participe à me donner espoir, après m’être navrée en constatant les achats de hamster de certains de nos concitoyens (du PQ pour 3 ans !)

Il faudra sans doute beaucoup de temps pour décrire ce qui nous arrive, pour comprendre et digérer cette crise sans précédent, mais, et c’est un truisme que de le dire, nous apprenons beaucoup et très vite: la solitude, la lenteur, le temps long, la peur, la solidarité, l’attention aux autres, la générosité et j’en passe…

Au jardin, nous apprenons à ne pas avoir tout ce que souhaitons, nous apprenons à demander et à donner de l’aide. Nous apprenons aussi la gratitude, nous gardons un équilibre mental, parfois précaire, en plantant des arbres ou des radis. Mais, lever le nez de son râteau et regarder le monde derrière notre haie, est un devoir d’humain. Il ne tient qu’à nous, bienheureux jardiniers, de ne pas être des égoïstes confinés dans nos jardins, mais jardiner, ça oui, plus que jamais!

Prenez soin de vous les amis, jardiniers ou non !

Un petit coup de blanc ?

C’est l’hiver… non, je vous le dis au cas où quelque chose vous aurait échappé? Fin janvier, au verger, les arbres ont été taillés, mais si l’on veut pouvoir manger quelque chose cet été, il faut traiter ! Quoi ? Malédiction ! Outrage ! Vous savez sûrement que les beaux fruits achetés en grande surface ont subi moult traitements chimiques acaricides, fongicides, bactéricides, insecticides (ça fait envie, non ?) pour arriver sur nos tables si réguliers, si parfaits. Ils ont été stockés en frigo pendant des mois, pour conserver leur esthétique tout au long de la saison de vente.

Alors quoi faire pour le jardin familial avec 4 à 10 arbres par exemple? S’armer comme un cosmonaute et gicler à tout-va ? Revenons à de plus sages dispositions… mais quand même, chaque année on se pose la question: quel stratagème inventer pour faire fuir le chancre, la monillose, la tavelure, la mouche Suzuki et autres joyeusetés qui feront de vos promesses de tartes aux fruits, des bides retentissants.

C’est à ce moment de réflexion intense qu’intervient un jeune paysagiste de mes amis, féru de nature naturelle (!) qui me propose de chauler mes arbres fruitiers. Ni une ni deux, je me renseigne, et lui aussi, et nous apprenons de concert l’ancienneté de la pratique et ses effets désinfectants et répulsifs pour les maladies cryptogamiques et contre les larves d’insectes ravageurs. Bon, bon me dis-je, essayons !

Pour mémoire et pour apprendre (rassurez-vous, je ne le savais pas non plus), la chaux, c’est du calcaire cuit à 900 degrés, qui se transforme en chaux vive. En y ajoutant de l’eau, une chaleur bouillonnante se produit et, en fin de processus, on obtient de la chaux éteinte. Ce matériau minéral a été utilisé depuis l’Antiquité pour la construction et les enduits muraux aux propriétés respirantes (un peu comme l’argile). Plus proches de nous, les écuries étaient souvent enduites de ce blanc pur, non pas pour faire joli, mais pour éviter la propagation bactérienne. En arboriculture aussi, la chaux a été utilisée et, peut-être, avez-vous déjà vu un verger aux troncs tout blancs, en vous demandant si le peintre du coin avait des bidons à terminer ? Eh non, pas pour faire joli, là non plus, mais dans un but de désinfection contre les maladies dues à des champignons qui ne ressemblent en rien à des cèpes de Bordeaux. La couleur blanche permet aussi aux arbres de mieux supporter les écarts de température (gel, dégel, coup de chaud).

Bien sûr, le progrès est passé par là, la chaux a été remplacée par le ciment, moins cher à produire, dès le 19 ème siècle. Les fours à chaux ont été éteints, les chaufourniers sont allé pointer au chômage. Pour nos arbres aussi, la chimie a trouvé les solutions !

Mais, nous les amateurs, nous qui voulons vraiment nous passer de la chimie, alors quoi ? Essayons donc le petit coup de blanc ! Pour ce faire, utiliser de la chaux vive (c’est moins cher que les mélanges déjà tout prêts), mais attention, protection des mains et des yeux indispensable, car en ajoutant l’eau pour “éteindre”, la chaux se met à cuire et des projections peuvent blesser l’amateur imprudent ! Une fois bien refroidi, ni une ni deux, on applique le mélange au pinceau sur les troncs, un jour sec et sans vent. Je dois dire que l’effet esthétique est incontestable et je me réjouis déjà des commentaires interrogateurs de mes voisins. Pour les jeunes arbres, autre traitement: mon jeune paysagiste enduit les troncs avec l’argile mélangé à de la bouse de vache bio, si si ! Pour les branches, huile de colza et savon noir !

Est-ce que ça va marcher ? ces efforts vont-il porter leurs fruits (c’est le cas de le dire)? Je vous ferai part de mes observations à la fin de l’été.

Pour fêter l’achèvement des traitements d’hiver, il y a un petit Epesses au frigo dont vous me direz des nouvelles !

Jardins de guerre

Pendant les deux guerres du 20ème siècle, pour faire face à la chute des productions agricoles, les populations ont été incitées par les gouvernements à augmenter les surfaces de production alimentaire. On les appelait les Jardins de la victoire (Victory Gardens), ou Potagers pour la défense ou encore la Bataille des champs. A l’époque, l’effort de guerre faisait peser une très lourde charge sur un monde paysan appelé sur les fronts. Mobiliser les populations sur le front intérieur participait à l’effort collectif et à la mobilisation sociale était une bonne idée, bien sûr assortie de discours vaillamment patriotiques. Ainsi les gouvernements des Etats-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, d’Italie et d’Allemagne menèrent de grands plans de souveraineté alimentaire. 

Bêchez pour la victoire / Affiche britannique de Peter Fraser , 1939-45?

En Suisse, on se souvient encore du plan Wahlen pendant la seconde guerre mondiale, qui reste dans l’imaginaire collectif  avec ses plantations de pommes de terre dans les parcs. Dès 1940, le plan Wahlen a permis à la Suisse de stabiliser la production à 2200 calories par personne et par jour (3300 calories avant la guerre). Réduction de l’élevage et migration des surfaces de pâturage en surfaces de production végétale, utilisation de tous les terrains vacants, éducation des populations, tels étaient les piliers de ce plan imaginé par l’ingénieur agronome  Friederich Traugott Walhen. Le plan ne fit cependant pas l’unanimité, chaque secteur économique revendiquant la priorité sur les autres  avec ses besoins propres en main d’oeuvre mis en concurrence (armement, énergie, élevages).  Néanmoins le plan Wahlen fut un succès:  en 5 ans les surfaces cultivées passent de 183’000 hectares à 352’000 hectares, la production de pommes de terre doubla. Au milieu d’une Europe à feu et à sang, la Suisse ne souffrit pas de restrictions alimentaires. Le plan renforça la détermination de la population à conserver et à renforcer son indépendance et permit de rassurer les Suisses pendant la guerre et l’immédiat après-guerre. L’autarcie ne fut pas atteinte mais le taux d’autoapprovisionnement passa de 52 à 59% (il est aujourd’hui, malgré certaines variations, toujours à 59%).

Pourquoi parler de ça aujourd’hui, si ce n’est par intérêt historique?  Préparons nous une guerre ? Nous avons atteint (ou nous en approchons) des limites: celles de la planète d’abord (chute de la biodiversité,  changement climatique, acidification des océans, modification des cycles de l’azote, l’appauvrissement des sols, descente énergétique), celle des systèmes socio-économiques (mondialisation, attaques sur la démocratie, inégalités, dépendance aux énergies fossiles, diminution de la disponibilité alimentaire, etc.). Il semble maintenant clair que nos sociétés vont devoir faire face à des effondrements systémiques et des réactions en chaîne qui ont le potentiel de remettre en question toutes les structures économiques et sociales. L’effondrement, notion de plus en plus utilisée, peut être défini comme un « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population, par des services encadrés par la loi » Note : Cochet, Yves: l’effondrement, catabolique ou catastrophique? (2011). 

La vie que nous connaissons aujourd’hui va disparaître. Une autre ère se dessine, faite d’effondrements multiples engendrant des catastrophes multipliées, imprévisibles et irréversibles. Peu réjouissant, non ?

Est-il possible et surtout, comment faire face à de tels défis? Il n’y a pas de solutions à chercher (c’est trop tard!) mais à cultiver notre adaptation. Il y a là des mondes à inventer, de nouvelles solidarités à créer, de nouveaux liens à tisser, une sobriété, peut-être heureuse, à expérimenter (comme le dit Pierre Rabhi). La résilience est la capacité d’un système à maintenir ses principales fonctions malgré les chocs y compris au prix d’une réorganisation interne. Pour beaucoup d’auteurs, l’espoir réside dans la création de petits systèmes résilients à l’échelle locale, auto-organisés, décentralisés, transparents, fondés sur une grand cohésion sociale à petite échelle (soit exactement l’opposé de nos systèmes industriels mondialisés!)

Une des clés de la résilience de nos sociétés se situe dans la  production alimentaire de proximité. A l’exact opposé de l’agriculture industrielle du début du 20ème siècle, les petites structures permaculturelles de production requièrent très peu d’espace, peu de technologies (pas d’intrants exogènes), des outils simples et ingénieux prolongeant la main humaine, de la force musculaire. Elles n’épuisent pas les sols, bien au contraire. On complète avec du compostage, des serres pour produire en hiver, des techniques de conservation des aliments sans énergie et du petit élevage.  Ces structures ont montré leur excellent rapport coût-efficacité (comme l’a démontré l’étude de l’INRA à la ferme du Bec-Hellouin en 2015).

Allons-nous donc tous redevenir des petits paysans ? Verrons-nous nos friches industrielles (les usines auront fermés), les prairies d’élevage, nos pelouses, le moindre espace vacant se transformer en potager ? 

Alors, pouvons-nous et voulons-nous pouvoir contribuer à cette résilience qui pourrait nous permettre de survivre dans un environnement ni trop toxique ni trop injuste? Souvenons-nous des jardins de la victoire et du plan Wahlen, non pas comme un effort patriotique mais comme un effort citoyen.

A lire en complément: Hopkins, Rob: Manuel de transition: de la dépendance au pétrole à la résilience locale, 2010

Sinaï, A. (et al.): Petit traité de résilience locale, 2015

Hervé-Gruyer, Perrine et Charles: Vivre avec la terre, 2019

A consulter: www. Transitionnetwork.org

Aller aux jardins

Au début de l’hiver, écrire un papier sur l’art et la manière de visiter les jardins est un peu à contretemps… mais pourquoi ne pas prendre le temps de lever le nez du râteau à feuilles et préparer de somptueuses visites, la belle saison revenue?

Le tourisme des parcs et jardins, jardins botaniques, arboretum, conservatoires et collections est devenu un business non négligeable en terme de chiffre d’affaire. Les offices du tourisme misent aussi sur ces attractions pour attirer un public large, néophyte ou plus averti. De nombreux ouvrages consacrés exclusivement aux visites de jardins (soit un jardin en particulier ou une sélection régionale) sont publiés chaque année1. Mais à part pour trouver la verte fraîcheur au coeur des canicules, pourquoi aller visiter des jardins ? Plaisir des sens ? Connaissances botaniques ? Histoire et patrimoine ? Toilettes gratuites ? Idées à adapter chez soi ? Eblouissement esthétique ?Cafétéria et boutique souvent un peu chic ? Moment de sérénité dans un marathon touristique ? Promenade sensuelle ? De tout cela un peu, sûrement…

Et au fait, les jardins sont-ils fait pour être visités ? Question de prime abord un peu sotte mais, à bien y regarder, certains jardins, et même la plupart, n’ont pas été conçus comme des attractions publiques. Paradis privés au départ, ils sont entrés dans le patrimoine avec le temps (comme les propriétés “tombées” dans le domaine public, ainsi la majorité des parcs de châteaux ou d’abbayes, par exemple pour les plus connus en France, Versailles, Villandry ou l’abbaye de Fontenay). Certains sont suffisamment vastes et aérés et peuvent accueillir dans de bonnes conditions le public où il est possible, et même recommandé, de s’égayer (Powerscourt en Irlande, par exemple avec ses 18 hectares). D’autres lieux, je pense par exemple à Giverny ou Sissinghurst, sont des jardins intimes et ne tolèrent pas la ruée dont ils sont l’objet. Ici comme ailleurs, “l’overtourisme” est une plaie pour la conservation des jardins et pour les visiteurs (mais pas pour le tiroir-caisse!). Néanmoins, visiter Giverny est possible au printemps précoce ou en automne, à l’ouverture. Sinon, vous serez condamnés à être emporté par un flot de touristes asiatiques qui postent leurs photos en direct sur Instagram, précédés d’une guide énergique mais s’époumonant dans le vide. Vous finirez à l’inévitable boutique où peut-être, que dans un accès de naïveté touchante, vous achèterez des graines de fleurs produites à des centaines de kilomètres, assorties d’un kit de plantation venant de Chine, mais qui vous feront croire que vous allez transformer votre bout de jardin en un ineffable univers impressionniste.

L’art et la manière

Comment visiter un jardin ? Où regarder ? Comment regarder ? Faut-il connaître l’intention du concepteur et de ses successeurs ? Et d’abord, le jardin est-il “nature” ou “culture” ? Question de point de vue, mais il est clair que des exclamations comme “c’est beau!” ou “quel boulot d’entretien!” ne sont pas pertinentes pour apprécier un jardin. Il me semble important d’abord de comprendre de quel univers culturel le jardin est-il un artefact, (de plus un artefact en mouvement, selon les saisons et le temps qui passe). On s’en doute, visiter le jardin d’un temple zen au Japon n’a rien à voir avec la promenade dans Central Park! Selon le type de jardin que l’on visite, il est intéressant de se poser des questions comme : Quel est le concept général, l’intention, le style, l’époque, l’usage du jardin ? Dans quel contexte naturel/bâti/culturel/écosystémique, le jardin prend-il place ? Comment ses éléments ont-ils/vont-ils évoluer ? Quels sont les types de plantes utilisées? Comment les plantes sont-elles agencées ? Quels sont les éléments architecturaux présents? Quelles sont les lignes de force, les perspectives ? Quels effets l’eau, le vent et la lumière ont-ils sur le jardin?

Et comment se comporter dans un jardin ? Cela paraît évident, en le respectant ainsi que le travail des jardiniers, c’est à dire en cheminant sur les chemins balisés (bête à dire mais, que ne ferait-on pas pour une belle prise de vue?), en n’emportant aucune plante, ni bouture, ni même graine à moins d’en avoir l’autorisation !. Choisir la saison, voire l’heure de la journée pour jouir d’une belle lumière, est parfois difficile en voyage, et du coup, il ne faut ne pas hésiter à revenir dans les jardins aimés. Faire des croquis, photos, prendre des notes pour garder des idées, ou faire des recherches ultérieures peut être une bonne idée pour les jardiniers amateurs en quête d’inspiration et de techniques.

Et si vous avez la chance de visiter un jardin avec son propriétaire, gardez à l’esprit que c’est un peu de lui/elle-même que la personne vous offre, donc restez courtois, posez des questions (intelligentes si possible…), et appréciez, sans comparer avec votre propre jardin. Evitez aussi les commentaires du genre: “C’est quoi ces broussailles ? – Vous faites quelque chose ou ça pousse tout seul ?, – Ça je l’ai… et ça aussi je l’ai, – Moi aussi, j’en ai un, mais le mien est plus grand/beau, etc.”

Que visiter ?

Les plus beaux jardins sont, à mon sens, ceux qui expriment une idée, une ligne, un concept qui n’empêchent pas l’âme du jardin de se manifester. En nous promenant dans leurs allées, nous sommes les témoins d’une époque, d’une vision artistique, d’une ambition (de collection ou d’étalage de puissance, et en tous les cas d’une passion, parfois ruineuse). J’apprécie pour leur aspect marquant dans l’histoire des jardins, les grands jardins de châteaux, que l’Europe compte par dizaines, en particulier les jardins anglais et leurs perspectives picturales, souvent crées de toutes pièces. Les jardins à la française m’ennuient parfois par leur rigueur mais sont fascinants de maîtrise. Et certains jardins à l’italienne comme Boboli à Florence, malgré leur magnificence, me donnent l’impression de manger une pâtisserie un peu trop sucrée. Ce sont plutôt les jardins plus modestes dans leur taille, mais pas dans leurs ambitions créatrices qui m’attirent. Les jardins contemporains comme ceux de Gilles Clément (le parc André-Citroën à Paris ou le Rayol dans le Var), ou les buis incroyables de Marqueyssac en Dordogne (jardin du 18ème, mais cependant très moderne dans sa conception) ou encore le jardin Plume en Normandie rencontrent mes aspirations esthétiques. Le Domaine de la Bourdaisière (Indre et Loire) pour son potager et en particulier sa collection unique de tomates, me fait rêver. Les jardins de curés, potagers ou vergers anciens, jardins d’écrivains réveillent en moi la nostalgie de l’enfance et l’émerveillement devant la simplicité bien agencée.

Il y a des jardins pour chaque moment de la vie, celui pour se coucher au pied d’un arbre centenaire, celui pour rendre hommage à des arbres ou des plantes rares, celui pour apprendre, celui qui nous impressionne par sa majesté et sa grandeur, celui qui nous fait découvrir des perspectives inattendues, celui qui nous stupéfie en exprimant la collectionnite du propriétaire, celui que l’on visite en hiver, celui qui sert de décor aux photos de mariage, celui qui nous rend jaloux, celui qui sert de cadre à un pique-nique, celui qui nous révèle l’intime de son propriétaire. Je ne parle pas ici de certains jardins chichiteux, conçus par des designers pour de fortunés propriétaires, et qui ne font pas illusion bien longtemps. Rien qu’en France, 20’000 jardins sont inscrits à la liste française “des parcs et jardins protégés au titre des monuments historiques”. Le label “Jardin remarquable” rassemble 443 jardins de propriétaires primés pour leur intérêt esthétique ou botanique et qui sont ouverts au public au moins 50 jours par année. Pour les “voyageurs de jardins”, le Royaume-Uni, est une source inépuisable de découvertes, mais n’oublions pas les autres pays européens. Le Japon, les Etats-Unis, l’Asie continentale possèdent aussi de forts beaux parcs et jardins, bref, ce n’est pas le choix qui manque.

Alors on va aux jardins ?


Lectures complémentaires: Alessandro Natali: Guide des jardins remarquables, 55 parcs et jardins de Suisse romande et France voisine, éd. Nicolas Junod, 2017.

Louisa Jones : L’art de visiter un jardin, Actes Sud, 2008

Umberto Pasti/ Pierre Le-Tan : Jardins: les vrais et les autres, Flammarion, 2011

Alain Baraton : Dictionnaire amoureux des jardins, Plon 2012

  1. Les plus beaux parcs et jardins de France, publié par les Guides Michelin ou encore Jardins de jardiniers, publié par Phaidon, et qui offre une sélection mondiale[]

De la désobéissance au jardin

Ces temps, on parle beaucoup de désobéissance civile, ce qui n’est pas pour me déplaire! Je vais relire Thoreau1, quand il fera trop moche dehors, mais l’anarchiste qui sommeille en moi (si! si!) se réjouit de voir des jeunes bloquer la circulation ou occuper les locaux d’une banque ou d’une assurance pour alerter sur l’urgence climatique. Des gens courageux ont brûlé des McDo, manifesté lorsque cela était interdit, fauché des champs en culture OGM, se sont interposés entre baleines et canons, ont accueilli chez eux des personnes “illégales”… Rappelez-vous Mandela, Rosa Parks, Aaron Swarz 2, Gandhi, voyez les manifestants de Hong Kong, les lanceurs d’alerte. Si, en plus, il y a une dose d’humour, alors là, je jubile franchement!

La désobéissance civile est un devoir moral quand la cause le justifie, elle est un moyen de protestation ultime (même) au sein d’une démocratie, si elle est non-violente, publique et que ses auteurs en acceptent les conséquences. Elle est la légitimité contre la légalité. Déranger, alerter, s’exprimer avec les moyens du bord, cela me paraît être la plupart du temps “du côté de la vie”.

C’est quoi le rapport avec le jardin, me direz-vous ? Au jardin, il est aussi intéressant de se poser la question de la désobéissance, qui, par essence, implique qu’il y aie, au préalable, de l’obéissance. Et en effet, combien de règles, d’usages, d’atavismes, de traditions et d’habitudes ? Arbres taillés, potagers désherbés, gazon tondu, feuilles à l’automne ratissées, légumes associés, couleurs et textures arrangées dans un massif de fleurs ! J’apprécie certes, le bel agencement dans un jardin mais, toutes les règles sont faites pour être transgressées au moins de temps en temps: ça nous rafraîchit un peu et ça ne fera certainement pas de mal à la nature, qui se portera bien mieux si on lui foutait un peu la paix! Se laisser aller à la transgression nous ramènera, le jardin et le jardinier, du côté de la vie.

Je ne veux pas ici vous donner les règles de la désobéissance, ce serait un paradoxe parfait, mais vous inviter à être un peu paresseux, un peu créatifs, ou encore à vous poser la question: qu’est ce qui se passerait si je ne faisais pas ce que j’avais prévu de faire ? ou si je faisais différemment? Bien sûr, parfois on se plante, et alors ? Il s’agit d’apprendre à apprendre et à désapprendre avec jubilation, à créer son propre modèle adapté à son environnement particulier, en dehors des conventions et des habitudes.

En dehors de son propre jardin, on peut désobéir en colonisant par la culture des espaces délaissés ou non entretenus ni jardinés3, recycler des végétaux, récupérer du matériel inutilisé par d’autres, échanger des graines. On peut lancer des bombes de graines (“guerilla gardening”4), créer des espaces collectifs, c’est aussi de la désobéissance!!

La désobéissance fertile5 est une jolie expression certes, mais qui nous invite à sortir de notre zone de confort et à faire confiance à nos intuitions et surtout à la nature. Qui sait ce qui se passera alors?

Recette pour bomber des graines: Mélanger des graines de fleurs avec de la terre argileuse humide. Former des boulettes de la taille d’une balle de ping-pong. Laisser sécher. Lancer dans des espaces en friche, en poussant un grand cri de joie !

Pour terminer, je ne saurai trop vous recommander la lecture du “Petit traité du jardin punk” de Eric Lenoir, Terre vivante, 2019

  1. La désobéissance civile, 1849[]
  2. militant pour la liberté sur le net[]
  3. par exemple, terrains vagues, fossés, talus, friches, etc. []
  4. http://guerilla-gardening-france.fr[]
  5. Vocable que j’emprunte à un collectif qui a pour objectif de récupérer terres et forêts pour les placer en “communs” ou en projets écologiques – https://desobeissancefertile.com/ []

Planter des pivoines

Les pivoines sont des plantes magnifiques et faciles à cultiver. Le choix de variétés est immense: les herbacées, qui poussent en tiges depuis le sol et les arbustives, qui s’élèvent en arbustes de 1 à 2 mètres. Les herbacées, comme les plantes vivaces, disparaissent dans le sol en hiver pour renaître au printemps, tandis que les arbustives perdent leur feuillage en automne.

Outre leurs floraisons somptueuses, mais relativement courtes, entre avril et mi-juin, les feuillages, qui se tiennent bien jusqu’à l’automne, structurent agréablement un massif.

On trouve facilement des pivoines en pot dans les jardineries. Cependant, si vous souffrez d’une passion pour ces belles et que vous cherchez des variétés moins communes, il sera nécéssaire d’aller visiter un producteur ou une pépinière spécialisée (voir nos adresses). ll faut compter une vingtaine de francs pour une herbacée et une cinquantaine pour une arbustive. Les hybrides sont plus coûteuses, bien sûr.

Le moment déterminant pour la réussite de vos pivoines est la plantation. Si celle-ci est bien faite, il y a de fortes chances que la belle se plaise et habite chez vous pour 50 à 100 ans. La plantation à racines nues permet de bien contrôler cette étape. Voyez la petite vidéo ci-dessous, réalisée au retour de la pépinière Rivière à Crest:

video

Outre la technique de plantation, le choix de l’emplacement est capital: les pivoines se plairont dans un endroit ensoleillé à l’abri des vents dominants. Elles supportent très bien les froids vifs et les gelées même importantes. Sous nos latitudes, l’idéal est une exposition ouest pour éviter les rayons de soleil tôt le matin en cas de gelées (dégel trop rapide). Le plus important est le sol qui doit être frais, bien drainé, et pas trop lourd.

L’entretien au long cours est très simple : les deux premières années après la plantation, arroser une fois par semaine en période sèche. Par la suite, arroser avant et après la floraison, si le sol est très sec. Désherber le pied de temps à autre permet à la plante d’absorber les pluies sans risque de stagnation d’humidité. Le besoin des pivoines en engrais est modeste : un apport d’engrais organique deux fois par année est largement suffisant. Ajoutez un peu de cendre froide au pied de temps en temps et le tour est joué! On ne taille pas les arbustives, il faut simplement ôter les fleurs fanées. Les herbacées sont simplement rabattues à 10 cm mi-octobre. Franchement, la pivoine est généreuse et peu exigeante, idéale pour un jardinier contemplatif !

Trop chou…

A l’approche de la fin de l’automne, on compte ses amis, ceux qui seront présents les mauvais jours, ceux sur qui on peut compter quand le moral est en berne et le frigo vide. Ceux-là qui seront consolation et réconfort, ceux-là qui nous réuniront autour de la table. Et là, je convoque la courge, la pomme de terre, le poireau et celui que l’on méprise parfois pour de viles raisons: le chou.

Tellement banal, qu’un petit hommage laudateur lui fera justice. Fort d’une trentaine de variétés (cabus, rouge, Broccoli, fleur, Daubenton, Pékin, rave, romanesco, kale, Milan, Kerguelen, crambe, Bruxelles…), le chou (Brassica oleracea) nous régale au long de la saison froide d’innombrables et admirables manières. Le chou est sans doute l’une des premières plantes domestiquée par l’homme, à partir du chou sauvage des côtes l’Atlantique et de l’Europe du Nord. Cette plante, généralement bisannuelle, dont on peut consommer les feuilles ou la tête (la pomme) possède à tort une image de nourriture pauvre et peu raffinée, probablement parce que, du fait de son rendement, de ses capacités de conservation, elle a été une source calorique importante pour les populations paysannes, en complément des céréales.

Aujourd’hui cultivé dans des conditions industrielles, il peut produire jusqu’à 160’000 kilos à l’hectare. Aliment santé, comme on aime le dire ces temps, le kale a fait les choux gras de quelques gourous de l’alimentation saine. Mais franchement, le smoothie de chou kale, ça ne vous réveille pas un mort, mais l’envie pressante de filer dans la chaleur bruyante d’une brasserie alsacienne vous taper une royale accompagnée d’un Gewurztraminer bien frais. Bon à part ça, il est vrai que les choux (avec x) renferment beaucoup d’éléments nutritifs (sels minéraux, vitamines B et C et même des agents anti-cancéreux). Cuit ou en salade, il fait partie des traditions culinaires de bien des pays de l’hémisphère nord: pensons au chou farci des pays slaves, au cole-slaw anglo-saxon, à la choucroute alsacienne et germanique et bien sûr, notre saucisse aux choux! On n’oubliera pas la soupe aux choux, (on devrait plutôt dire les soupes au choux, tant elles sont variées) emblème réconfortant de la cuisine familiale, mais aussi de régimes et de flatulences annoncées. A ce propos, c’est la décomposition des choux  dans le système digestif qui provoque la formation de gaz intestinaux très gênants, en particulier en séance de travail ou lors d’une sieste coquine… Ajouter quelques graines de fenouil ou de cumin à l’eau de cuisson, paraît-il, permet de réduire ces inconvénients odorants.

Savez-vous planter des choux ? Dans un petit potager, il est vrai qu’il prend pas mal de place, mais quelle joie de voir ses larges feuilles s’élancer vers le ciel et les petites pommes du chou fleur, par exemple naître et grossir. Le chou cabus (celui de la choucroute), ne saurait manquer à aucun jardin, tant il est dense et nutritif. De culture assez simple, si l’on prend garde à quelques éléments: d’abord les choux n’aiment pas le sec, donc attention à l’arrosage, en particulier en début de culture. Ils ont besoin d’un sol riche, bien fumé et bien drainé. Gourmands en azote, ils profiterons de venir après des haricots. La distance de plantation est de l’ordre de 40×50 cm, voire un peu plus (moi j’aime bien serrer), en situation ensoleillée. On peut mettre des salades en culture intercalaire et l’associer au céleri, à la laitue, aux betteraves aux tomates. En revanche, on fera chou blanc, si on lui impose la compagnie du fenouil, des navets ou des radis. Idéalement, une rotation de 3 ou 4 ans est bénéfique. Il faut en outre prendre garde à la mouche du chou, à la piéride (papillon jaune très clair) et bien sûr aux limaces. On récolte les choux au fur et à mesure des besoins avant les grandes gelées, plutôt par temps sec et on les conservera en cave. Les cabus seront lacto-fermentés (voir recette plus bas) et régaleront les amis autour d’une choucroute, mais sans se prendre le chou, hein ? Et encore: le chou rouge cuit avec des châtaignes, accompagnera un plat de chasse. Le chou fleur en salade avec quelques cornichons et des oeufs durs émiettés.. bref il n’y a que l’embarras du chou, euh… du choix, pour consommer la divine brassicacée en réécoutant, par exemple, Gainsbourg et son “Homme à la tête de choux” !

Faire sa choucroute: Utiliser des choux cabus en enlevant les feuilles extérieures abimées et gardant le trognon. Couper en fines lamelles ou râper dans un grand saladier. Ajouter 10 gr. de gros sel par kilo de chou. Brasser et presser avec les mains en exprimant le jus du chou. Au bout de 20-30 minutes, mettre en bocal, en terminant par deux ou trois feuilles et le trognon (qui serviront à maintenir les choux dans le jus). Fermer et laisser fermenter 3 semaines avant de déguster. Bête comme chou, non ?

L’éthique au jardin

Il est bon, parfois, de relever le nez de ses plates-bandes et d’envisager ce que l’éthique peut nous apporter, à nous jardiniers. 

Allons donc faire un tour du côté de l’éthique du “care”. Cette éthique pensée par Carol Gilligan dans les années 80, était à l’origine réfléchie pour le domaine des soins, de la dépendance, puis développée autour des questions de genre, de l’éthique des affaires, de la gestion des ressources humaines, etc.  

En envisageant notre rapport à la vulnérabilité, à la fragilité ponctuelle ou permanente, à l’interdépendance, qui sont des conditions ontologiques de l’existence humaine, l’éthique du « care » remet en question  l’utilitarisme économique et  l’idéal d’indépendance. Ce faisant, elle propose un modèle basé sur l’attention à l’autre, la responsabilité, la confiance et l’altruisme. Dans cette perspective, soi et les autres ne sont pas séparés, mais rassemblés dans un entrelacs de relations et de co-responsabilités.

On perçoit déjà ici que cette vision systémique  peut nous amener à réfléchir notre relation collective et individuelle au vivant non-humain, et à la nature dans son ensemble. Si l’on exclut les mouvements qui prônent le retour à une nature sauvage (wilderness), l’éthique du « care » a beaucoup à apporter à ceux qui se questionnent sur la relation humain-nature. En effet, en mettant au centre l’interdépendance au sein du vivant -notion complètement niée par nos sociétés contemporaines-, l’éthique du « care », met en lumière  notre nécéssaire attention et notre responsabilité collective vis-à-vis de la vulnérabilité des écosystèmes, de l’air, de l’eau, de la biodiversité, etc. 

Notre terre étant devenue fragile, à force de cupidité, l’éthique du « care », initialement pensée dans un contexte individuel ou collectif à petite échelle,  fournit de nouveaux éléments pertinents de réflexion sur notre relation à cette vulnérabilité et à la nôtre en tant qu’individus, parties prenantes de ce sytème. 

Il est évident que si nous percevons la nature comme un « non-moi » à disposition de nos besoins, il nous sera difficile d’adopter une posture de responsabilité vis à vis d’elle. On peut tenter de résoudre cette difficulté par l’attention que nous portons vis-à-vis du bien-être des générations futures, ou la souffrance humaine lors de catastrophes liées au climat, à la modification d’un paysage, etc. 

Le « care » « à distance » dans le temps et l’espace,  peut-il motiver les individus à modifier leurs comportements environnementaux ? Peut-il nous aider à tourner le guidon et adopter des attitudes plus responsables et vertueuses ?  De nombreuses recherches en psychologie sociale tentent de répondre à la question de la motivation au changement dans le contexte de crise climatique et des réponses intéressantes sont émises. Par ailleurs, le travail est aussi individuel, dans le sens de la bienveillance à soi-même, au pardon, à l’expression de l’impuissance et de la colère, de la peur, de la peine, (etc.) afin de sortir du déni et des stratégies de protection et entrer dans une dynamique de sollicitude vis à vis de la vulnérabilité de la nature  (voir à ce propos les apports de l’écopsychologie).

L’éthique du « care » qui est une éthique de l’action, distingue 4 phases intimement liées : 

  1. Caring about: constater l’existence d’un besoin et évaluer la possibilité d’y apporter un soulagement direct ou indirect. L’élément éthique est ici l’attention
  2. Taking care of: reconnaître une certaine responsabilité et  déterminer la réponse à apporter. L’élément éthique est la responsabilité
  3. Care-giving:  effectuer un travail effectif de soin qui vise à réduire la souffrance. L’élément éthique ici est la compétence
  4. Care-receiving: reconnaître que le « sujet » de la sollicitude réagit au soin et qu’il possède la capacité à le recevoir. Il s’agit donc de prendre le feed-back de nos actions. Et la boucle recommence au début.

Amis jardiniers, tout cela vous dit quelque chose, bien sûr. Quand vous irez le soir arroser quelques fleurs ou salades assoiffées, enlever quelque herbes indésirables, rappelez-vous de l’éthique du « care ». 

Mais rappelons-nous surtout que le monde ne s’arrête pas à la clôture du jardin et qu’il nous appartient d’exercer notre responsabilité bienveillante sur notre environnement.  


Bibliographie

GILLIGAN C. [1982], Une voix différente, 2008, Paris, coll. « Champs Essais », Flammarion.

LAUGIER S. [2012], Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, coll. « Petite Bibliothèque Payot », Payot et Rivages

TRONTO J. C. [1993], Un monde vulnérable : pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009.

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