…Mais qui le sait ? Les plantes aussi sont, n’en déplaise à René Descartes. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? Selon Descartes, c’est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas , qui imagine aussi, et qui sent. On peut aisément dire que les plantes ne doutent pas ou n’affirment pas, mais peut-on alors dire qu’elle ne sont pas ? La nature d’être est-elle seulement liées à ces critères ? Il me semble que la sensibilité à la douleur est une caractéristique primordiale de l’être qui pourrait nous éclairer dans notre relation à la nature, ou plus précisément au vivant.
Aujourd’hui, de nombreuses études scientifiques nous révèlent la vie intérieure des plantes. On y apprend, ce que notre intuition nous susurrait, à savoir que les arbres sont solidaires, qu’ils communiquent entre eux via un world wild web situé dans la rhyzosphère (le réseau des filaments de racines de champignons, pour faire simple), qu’ils s’adaptent aux agressions extérieures en changeant la composition de leur feuillage en quelques heures. Et bien sûr, les plantes se portent mieux quand nous leur foutons la paix. Est-ce nécessaire de savoir-penser cela, pour mieux les aimer et les respecter?
Par quel bout renouer le lien qui nous unit au vivant avant que nous l’ayons complètement perdu? L’historien Yuval Noah Harari, dans son brillant “Sapiens”, décrit comment la naissance de l’agriculture a fait d’homo sapiens l’espèce la plus prospère et la plus destructrice que la planète ait porté. Le chasseur-cueilleur n’avait pas l’outrecuidance de se croire supérieur à l’animal chassé et ne percevait pas son impact sur le système écologique (il risquait aussi de se faire embrocher par un rhinocéros…). Voilà en gros 12’000 ans, la naissance de l’agriculture, crée un homme nouveau: le cultivateur, inscrit dans un mythologie de domination, de domestication des animaux et des plantes, devient capable de réduire au silence le peuple végétal et animal.
Aujourd’hui, le résultat est là: nous en sommes à la 6ème extinction, la seule provoquée par l’humain. Selon le récent rapport sur la biodiversité mondiale, les trois quarts de l’environnement terrestre et environ les deux tiers du milieu marin ont été significativement altérés par homo sapiens. Au delà de la flore et de la faune sauvage, même les espèces végétales cultivées ont été réduites de 90% en 100 ans. En moyenne, ces tendances ont été moins graves ou évitées dans les zones qui appartiennent à/ou sont gérées par des peuples autochtones et des communautés locales. Cet élément donne un triste crédit à la thèse d’Harari sur les chasseurs-cueilleurs et les cultivateurs. Dès lors, pouvons-nous sortir de notre anthropocentrisme suicidaire? Pouvons-nous encore et désirons-nous nous ré-ensauvager un peu ? Il ne s’agit pas là de romantisme rousseauiste, mais d’une question de survie!
Pour pouvoir re-trouver la conscience que nous sommes la nature, des vivants dans le vivant, il faut, selon les écopsychologues, passer par les étapes du travail de deuil:
- le déni: pas de doute, les climatosceptiques font bien leur boulot!
- la colère: les jeunes qui manifestent ces temps, les écologistes, les activistes…
- le marchandage: la technologie va nous sauver de la catastrophe, (les crédits carbones, la captation du Co2, les voitures électriques, par exemple)
- la dépression: l’étape encore à venir pour la plupart d’entre nous tant nous ne sommes pas prêts à faire le deuil du monde tel que le connaissons, d’autant plus difficile à envisager que cette mort arrive à petit pas, presque silencieusement pour ceux qui ont (encore) les oreilles bouchées
- Et enfin, la renaissance, le réengagement dans un nouveau monde, dans un nouveau récit du vivant encore in-envisageable, c’est à dire qui n’a pas encore de visage.
Intéressant, non ? la route est encore longue pour faire cohabiter dans l’harmonie “penser donc être”, “être donc penser”, et “être donc être”.
Pascale
Merci Hamlette pour ces réflexions humanistes et ethno botanistes. ..Merci de nous ramener à l’humilité qui vient de humus…