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L’éthique au jardin

Il est bon, parfois, de relever le nez de ses plates-bandes et d’envisager ce que l’éthique peut nous apporter, à nous jardiniers. 

Allons donc faire un tour du côté de l’éthique du “care”. Cette éthique pensée par Carol Gilligan dans les années 80, était à l’origine réfléchie pour le domaine des soins, de la dépendance, puis développée autour des questions de genre, de l’éthique des affaires, de la gestion des ressources humaines, etc.  

En envisageant notre rapport à la vulnérabilité, à la fragilité ponctuelle ou permanente, à l’interdépendance, qui sont des conditions ontologiques de l’existence humaine, l’éthique du « care » remet en question  l’utilitarisme économique et  l’idéal d’indépendance. Ce faisant, elle propose un modèle basé sur l’attention à l’autre, la responsabilité, la confiance et l’altruisme. Dans cette perspective, soi et les autres ne sont pas séparés, mais rassemblés dans un entrelacs de relations et de co-responsabilités.

On perçoit déjà ici que cette vision systémique  peut nous amener à réfléchir notre relation collective et individuelle au vivant non-humain, et à la nature dans son ensemble. Si l’on exclut les mouvements qui prônent le retour à une nature sauvage (wilderness), l’éthique du « care » a beaucoup à apporter à ceux qui se questionnent sur la relation humain-nature. En effet, en mettant au centre l’interdépendance au sein du vivant -notion complètement niée par nos sociétés contemporaines-, l’éthique du « care », met en lumière  notre nécéssaire attention et notre responsabilité collective vis-à-vis de la vulnérabilité des écosystèmes, de l’air, de l’eau, de la biodiversité, etc. 

Notre terre étant devenue fragile, à force de cupidité, l’éthique du « care », initialement pensée dans un contexte individuel ou collectif à petite échelle,  fournit de nouveaux éléments pertinents de réflexion sur notre relation à cette vulnérabilité et à la nôtre en tant qu’individus, parties prenantes de ce sytème. 

Il est évident que si nous percevons la nature comme un « non-moi » à disposition de nos besoins, il nous sera difficile d’adopter une posture de responsabilité vis à vis d’elle. On peut tenter de résoudre cette difficulté par l’attention que nous portons vis-à-vis du bien-être des générations futures, ou la souffrance humaine lors de catastrophes liées au climat, à la modification d’un paysage, etc. 

Le « care » « à distance » dans le temps et l’espace,  peut-il motiver les individus à modifier leurs comportements environnementaux ? Peut-il nous aider à tourner le guidon et adopter des attitudes plus responsables et vertueuses ?  De nombreuses recherches en psychologie sociale tentent de répondre à la question de la motivation au changement dans le contexte de crise climatique et des réponses intéressantes sont émises. Par ailleurs, le travail est aussi individuel, dans le sens de la bienveillance à soi-même, au pardon, à l’expression de l’impuissance et de la colère, de la peur, de la peine, (etc.) afin de sortir du déni et des stratégies de protection et entrer dans une dynamique de sollicitude vis à vis de la vulnérabilité de la nature  (voir à ce propos les apports de l’écopsychologie).

L’éthique du « care » qui est une éthique de l’action, distingue 4 phases intimement liées : 

  1. Caring about: constater l’existence d’un besoin et évaluer la possibilité d’y apporter un soulagement direct ou indirect. L’élément éthique est ici l’attention
  2. Taking care of: reconnaître une certaine responsabilité et  déterminer la réponse à apporter. L’élément éthique est la responsabilité
  3. Care-giving:  effectuer un travail effectif de soin qui vise à réduire la souffrance. L’élément éthique ici est la compétence
  4. Care-receiving: reconnaître que le « sujet » de la sollicitude réagit au soin et qu’il possède la capacité à le recevoir. Il s’agit donc de prendre le feed-back de nos actions. Et la boucle recommence au début.

Amis jardiniers, tout cela vous dit quelque chose, bien sûr. Quand vous irez le soir arroser quelques fleurs ou salades assoiffées, enlever quelque herbes indésirables, rappelez-vous de l’éthique du « care ». 

Mais rappelons-nous surtout que le monde ne s’arrête pas à la clôture du jardin et qu’il nous appartient d’exercer notre responsabilité bienveillante sur notre environnement.  


Bibliographie

GILLIGAN C. [1982], Une voix différente, 2008, Paris, coll. « Champs Essais », Flammarion.

LAUGIER S. [2012], Tous vulnérables ? Le care, les animaux et l’environnement, Paris, coll. « Petite Bibliothèque Payot », Payot et Rivages

TRONTO J. C. [1993], Un monde vulnérable : pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009.

Ça va le bocal ?

Le plastique c’est fantastique, disait-on dans les joyeuses années 60. Le congélateur, c’est encore meilleur, bref pour conserver les produits du verger et du potager, rien de mieux. Mais le vent a tourné, les océans sont des mares de plastique et le bocal en verre fait un retour fracassant (surtout quand on le lâche…) dans nos contemporaines cuisines. Et pourtant quelle histoire !

Conserver les récoltes, ne pas souffrir de la faim et ne pas s’empoisonner ont été des préoccupations séculaires pour les humains: salaisons, saumure, conservation dans le sucre ou le vinaigre, fermentation, dessiccation à l’air ou au feu, fumage, beaucoup de solutions ont été utilisées pour garder les aliments. La stérilisation et la mise en conserves sont nées au 19ème siècle après des inventions et découvertes successives de Nicolas Appert, Denis Papin et bien sûr Louis Pasteur. La firme allemande Weck fondée à la fin du 19ème, introduit les fameux bocaux à l’emblème de la fraise et permet la stérilisation du lait, la conservation “en l’état” de fruits, de légumes et de viandes, ce qui révolutionne l’alimentation.

En Suisse, la firme Glashütte Bülach (ZH) est née en 1891 mais c’est juste après la première guerre mondiale, quand la pénurie de bocaux Weck se fait sentir, que le Conseil fédéral d’alors ordonne la fabrication suisse de “bouteille à cuire” à Bülach. Lancée en 1920, la bouteille est close par un bouchon en porcelaine et un élastique en caoutchouc. Le célèbre bouchon en verre avec son étrier en acier, ainsi que le verre vert qui fait la notoriété de la marque sortent en 1924. D’ailleurs, cette couleur si reconnaissable, synonyme de qualité, est due à un manque de matières premières. La firme fait une promotion efficace de son bocal, si bien qu’on trouve dans toutes les cuisines helvétiques.

Pendant la seconde guerre mondiale, les usines de Bülach tournent à fond et proposent des innovations avec de nouveaux diamètres de cols, de nouveaux formats. Avec l’invasion du plastique et l’introduction du congélateur dans presque tous les foyers, la production chute, si bien que la verrerie Bülach ferme en 1972. Associée au groupe Vetropak depuis 1917, (issu lui des verreries de St-Prex), elle est complément démantelée en 2002. Le groupe Vetropack est aujourd’hui l’un des principaux fabricants de verre d’emballage en Europe. Il emploie plus de 3 000 personnes et exploite huit usines de verre en Suisse et en Europe. Pour poursuivre l’histoire, sachez encore que le site de l’usine zurichoise est en pleine reconversion et que, en 2023, un quartier baptisé “Glasi” de 560 appartements et 20’000 m2 d’espace commerciaux verra le jour. Je ne sais pas encore si des parcelles de potager sont au programme…On pourrait ainsi boucler la boucle en quelque sorte.

L’usine de Bülach avec devant les parcelles de potagers pour les ouvriers (1924),
source: buelachansichtskarten.ch

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Aujourd’hui, le bocal en verre, symbole impeccable de transparence et de vertu écologique fait son grand retour. Les aficionados du zero-waste, du fait-maison, de la lacto-fermentation, de la stérilisation sont de plus en plus nombreux. Les achats en vrac, les plats servis en bocal, l’esthétique vintage, tout y est pour créer un trend. L’allemand Weck, l’américain Ball Mason Jar et le français Le Parfait se partagent un marché en pleine expansion et notre joli bocal national a disparu au point de devenir en quelques années introuvable même dans les brocantes… Je me souviens des étagères de la cave de ma grand-mère où étaient alignés bocaux de légumes et de fruits, bouteilles de sauce tomates et confitures, promesses de délices à venir. Certain-es se rappellent d’en avoir balancé dans les bennes à verre de la déchèterie, faute de leur trouver un usage. Quel drame !

bocaux Bülach
Bocaux, 1948 (musée suisse du design Zürich)

Aujourd’hui, je conserve en bocaux une partie de la production de mon potager pour en retrouver les saveurs en plein mois de février. Le congélateur est nettement moins poétique, plus électrique et j’adore voir ces rangées rassurantes de bocaux. Ouvrir un bocal en tirant la languette de caoutchouc et d’entendre le petit pfuit de l’air a quelque chose d’immémorial (même si ce n’est qu’un siècle…).

Bon, vous l’avez compris, si vous avez des bocaux Bülach dont vous ne savez que faire, faites-moi signe !!

Source: buelachansichtskarten.ch

Hortus conclusus

Un jardin est clos, sinon ce n’est pas un jardin. Au Moyen-Age, si important pour l’histoire des jardins occidentaux, le jardin clos reflète une image paradisiaque ou encore celle de la vierge Marie dans le sens de l’espace pur et inviolé (et inviolable). Les jardins des cloîtres monastiques et jardins des simples sont toujours fermés et ordonnancés selon des règles bien établies. L’agencement y est strict, les plantes sont ordonnées et limités par des plates-bandes en plessis ou en bois, puis par des buis : L’Herbularius ou liste de Charlemagne (fin 8ème siècle) dresse la liste des plantes obligatoires dans un jardin, tandis que les livre d’heures comme les “Très riches heures du Duc de Berry” (15ème siècle) nous montrent les travaux agricoles.

Le jardin est donc d’abord un lieu fermé, protégé du monde et du regard extérieur, on pourrait presque dire un lieu pudique. Le Cantique des cantiques qui se déroule dans un jardin et désigne aussi la bien-aimée comme un jardin, dit : “Tu es toute belle mon amie, et il n’y a pas de taches en toi… Tu es un jardin clos, ma soeur, mon épouse, un jardin clos, une fontaine scellée” 4,7-12. Cette clôture est une allusion claire à la virginité de l’épouse. Puis: “J’entre dans mon jardin” au verset 5,1.: le jardin appartient à quelqu’un. Il n’est pas question ici de féminisme, mais de tradition spirituelle.

La clôture au jardin est sans doute fondamentale pour s’y sentir libre et en sécurité, comme les bras du parent sont nécéssaire à la consolation et à la croissance de l’enfant. La limite sert aussi de repoussoir à l’intrus, le mal, le violeur, le sauvage qui pourrait souiller le jardin. D’un point de vue esthétique aussi, les séparations structurent le paysage, lui donnent un rythme et apaisent le regard. Si, aujourd’hui, il nous semble naturel de délimiter la propriété, il n’en pas toujours été ainsi: Le mouvement des “Enclosures” en Angleterre au 16ème siècle a profondément changé le paysage agricole et social. Avant, les champs étaient ouverts et communs, cultivés par la communauté qui bénéficiait du droit d’usage. Sans cadastre, les terres ont été accaparées par les potentats locaux, ceintes de haies vives ou bocagères (qui bien sûr remplissent aussi de nombreuses fonctions environnementales) pour en matérialiser les frontières. De pauvres hères se sont révoltés contre la mainmise des riches sur les terres et l’appauvrissement des populations. Mais le mouvement des enclosures était inéluctable et annonciateur du capitalisme dans le sens de la possession de l’outil de production par un très petit nombre de personnes. Le droit de propriété est consacré dans la “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen” lors de la Révolution française. Les théoriciens et les communautés anarchistes du 19ème siècle ont tenté, sans succès, un baroud d’honneur désespéré contre la notion de propriété.

Aujourd’hui, dans nos espaces pavillonnaires, le patrimoine immobilier est presque toujours clos par d’affreuses barrières en treillis métalliques, par des haies de tuyas, de laurelles aussi stériles qu’esthétiquement dégradantes, plus symboliques que réellement défensives. Il n’y manque que le mirador… J’ai déjà écrit là-dessus, je n’y reviens pas. Mais, ces enceintes assurent-elles aux propriétaires un sentiment de sécurité? ou la démonstration publique de son emprise sur son bout de territoire chèrement acquis ? Visent-t-elles à protéger de l’intrus ou à interdire la sortie à ceux qui vivent à l’intérieur de la forteresse ? On peut aussi y déceler la confiance (ou le manque de confiance) vis-à-vis de ses voisins et de l’environnement en général. Par ailleurs, ces clôtures étanches posent des problèmes de fragmentation écologique suivant leur imperméabilité au passage de la faune, par exemple.

A l’heure où les puissants de ce monde construisent des murs un peu partout sur la planète pour se protéger des “invasions barbares”, il apparaît que l’homme a bien du mal avec le non-fini, avec l’échange, avec le différent, ou l’indifférencié, avec enfin la liberté. Dans ce sens, la clôture marque la différence spatiale entre la fin de quelque chose (de connu) et le début d’autre chose (d’inconnu). On retrouve dans le mur le clivage Oui/Non si confortable à nos âmes occidentales. L’espoir cependant nous vient d’Allemagne, nation qui a une lourde histoire avec les barbelés, où l’on célèbre cette année le 30ème anniversaire de la chute du Mur de Berlin. J’y vois une résistance rafraîchissante contre les murs, les frontières, contre tout ce qui nous sépare de nous-mêmes et des autres, quels qu’ils soient.

Plantons donc joyeusement des haies (vives de préférences) et franchissons-les pour aller saluer le vaste monde! Sachons aussi nous replier parfois dans notre (jardin) intérieur…

Note: l’illustration en tête de ce billet est due à un Maître du Haut-Rhin non-identifié et représente la Vierge au paradis, vers 1410.

Gazon maudit

Et pelouses honnies! Je n’ai pas encore digéré la défaite mortifiante de notre Roger national sur le gazon de Wimbledon dimanche passé. Mais, malgré tout, je pardonne au gazon britannique grâce aux 8 autres victoires de Federer sur cette surface. Et j’adore aussi les fraises et le champagne.. mais pas ensemble !

Tentons quand même d’élargir le propos: Quelle est cette passion des homo sapiens pour les pelouses? D’où vient ce goût immodéré du vert rasé au millimètre ? On pourrait résumer en disant : rage guerrière, orgueil capitaliste et conformiste dépitant.

Il semble en effet que les premières pelouses, c’est à dire un espace d’herbe rase sans culture, soient nées de la peur de l’envahisseur. Au Moyen-Age, le seigneur en son château, appréciait de voir l’ennemi arriver au loin dans un panache de poussière, afin de préparer balistes et trébuchets pour assassiner en règle. Bon prince, quand il était pas en guerre contre ses voisins, il laissait ses prés à ses serfs, pour le bétail, qui en broutant, leur confère cet aspect ras (tondeuse et grandeur d’âme chrétienne réunies). Le mot pelouse vient d’ailleurs du latin “pilosus” et signifie “poilu”, sans doute pour rappeler la barbe ou autre pilosité. Le rasage, oeuvre civilisatrice, chez l’homme et la pelouse, repousse loin dans l’inconscient, le sauvage en nous. La pelouse, c’est en quelque sorte l’anti-forêt, un espace rassurant et maîtrisé ou l’homme ne risque rien, ni attaques de loups-garous ni agressions d’autres tribus, ni sa propre sauvagerie.

Dans les jardins du château de Versailles, conçus par André Le Nôtre, la grande allée du Roi est un espace gigantesque d’herbe tondue qui met en valeur la perspective et le château. Cette première pelouse d’apparat, tondue à la faux, par des armées de serviteurs, pour qui la garden party n’était même pas un concept, a certainement été source d’inspiration pour de nombreux autres jardins à la française. Cette étendue vierge de cultures est l’image même du pouvoir absolu du roi sur ses sujets, tondus par l’impôt et indistincts comme les brins d’herbe du gazon. Le jardinier de banlieue d’aujourd’hui ressent certainement sa propre royauté en dirigeant fièrement sa tondeuse autotractée ou mieux, juché sur son tracteur. Quoiqu’aujourd’hui on laisse faire cette tâche aux robots de tonte, esclaves mécaniques presque silencieux (et c’est là leur seul avantage) sans plaintes ni maux de dos.

Au 18ème, le jardin à la française se meurt, le style va cependant rapidement évoluer vers le jardin à l’anglaise fait de perspectives imaginées-imaginaires, créatrices de paysages. La pelouse prend le rôle de faire-valoir, car elle permet de créer et mettre en valeur des “vues” avec des bosquets, rivières et étangs ou de fausses ruines. Des vaches paissant complétant le paisible et romantique tableau. Outre du bétail, les aristocratiques anglais du 18-19ème employaient nombre jardiniers pour l’entretien de ces “faux paysages”. La pelouse est un signe extérieur de richesse qui affirme le fort capital économique de son propriétaire, qui n’est donc pas un paysan (oh, que non!), qui n’a pas besoin de rentabiliser son territoire et peut, entre deux réunions à la chambre des Lords, se plonger dans la contemplation métaphysique de la nature ou de l’évolution des cours de la bourse.

Avec l’arrivée des premières tondeuses mécaniques au milieu du 19ème siècle, l’Amérique s’empare de cette esthétique rassurante. L’après-guerre est la consécration de la mise en scène du confort économique du propriétaire de villa (automobile, machine à laver, etc.), à grand renforts de produits chimiques, car ce maudit gazon, stérile pour la biodiversité, ne pousse que si on le nourrit. L’étalement urbain, l’amélioration des niveaux de vie, le vieillissement de la population et l’augmentation du pouvoir économique des pays émergents promettent de beaux jours aux pelouses uniformes. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de l’entretien des gazons aux USA pèse 8 milliards de dollars, ce n’est pas négligeable et l’avenir est souriant. Regardez les publicités pour les semences, engrais ou tondeuses : elles promettent la félicité familiale dans un décor privatisé de golf, bordé de sages massifs floraux, un barbecue en fond, des enfants radieux jouant au ballon avec papa. C’est l’ennui incarné…

Une autre voie est possible, plus apaisée, moins pétaradante, plus variée, moins sage… mais aussi plus difficile: la praire fleurie, nouveau graal des bobos écolos (ce qui dans ma bouche n’est pas une injure, croyez-le!) et des nostalgiques des champs de leur enfance. La désaccoutumance au gazon passe par l’abandon des produits phytosanitaires, puis de l’arrosage automatique, la pratique du mulching, puis du grand saut vers la prairie fleurie, qui croyez-moi, n’est pas simple à obtenir. Nos terres, trop riches, doivent être mises au régime, il faut faucher 3-4 fois dans la saison, à la faux, ou à la débroussailleuse assourdissante, et alors, que faire de toute cette herbe qui arrive d’un coup ? Bref, joyeux sacerdoce en perspective, mais ô combien gratifiant, quand oiseaux, insectes, abeilles bien sûr, s’y installent complétant un tableau multicolore.

Si le tournoi de tennis de Wimbledon se jouait au milieu de coquelicots, scabieuses, sauges, esparcettes ou campanules, les jardiniers du All England Lawn Tennis Club, n’auraient sans doute pas moins de travail, ni d’angoisses. Mais moi, j’imagine la chemise impeccablement blanche de Roger Federer au milieu d’un champ multicolore d’ou l’on verrait émerger des services gagnants et reprises de volée majestueuses.

La belle amélanche

Un matin de juillet, la récolte, à la fraîche, des amélanches, est l’occasion d’une méditation sur la modestie et la promesse d’une tarte partagée ou de confitures goûteuses. L’amélanchier, voilà bien un hôte du jardin qui nous ravit en toutes saisons ! En avril, sa floraison précoce et abondante, en forme de petites étoiles blanches, annonce l’installation du printemps. Elle a l’élégance de ne pas s’attarder, forçant les laudateurs à s’arrêter pour l’admirer, avant qu’elle ne s’envole.

Puis début juillet, une luxuriance de petits fruits rouges violacés à la chair pâle, de la taille de petites myrtilles et au goût très sucré, ravit à la fois les oiseaux et les jardiniers qui se pressent tous deux pour en saisir les délices. Menues les amélanches, mais suaves, plantureuses… Vous en ferez des crèmes brûlées, clafoutis, tartes, confiture, à l’identique que avec des myrtilles ou autres petits fruits estivaux.

Et enfin, à l’automne, l’arbre se pare d’une flamboyante pourpre cuivrée pour un spectacle d’été indien. Nous ne sommes pas au Québec, mais parmi les arbres de nos jardins qui enchantent le mois octobre, l’amélanchier tient le beau rôle.

Pour profiter des dons de l’amélanchier, on peut le planter comme élément de haie vive ou, encore mieux, en sujet isolé ou devant des conifères par exemple. Pas pressé, il est idéal pour les petits jardins, car on peut le tailler raisonnablement. Si on lui laisse toutes les libertés, il peut aller jusqu’à 3-5 mètres. Il supporte les températures très froides mais n’aime pas trop la sécheresse quand elle dure (le bon réflexe: maintenir sa base au frais avec un paillage ou de la végétation peu taillée). La plupart des espèces sont originaires de l’Amérique du Nord et d’Asie, d’Europe pour une seule espèce (A. ovalis). Le plus répandu dans les jardineries est A. lamarckii, originaire du Canada, et ses amélanches sont tout aussi belles.

La belle amélanche est-elle sur le point de conquérir votre coeur ?

Espace mental d’espérance

Telle est la définition du jardin selon Gilles Clément. Je suis tellement (souligné 3 fois) en accord avec lui. En vrai, je suis presque toujours en accord avec lui, celles et ceux qui me lisent le savent…

Mais allons un brin plus loin : cet espace mental, quel est-il ? C’est celui du désir qui guide la main du jardinier et de la jardinière, le désir de voir pousser cette plante que je sème, de croître ces arbres de perspective, de voir prospérer ces légumes, de voir s’installer les, peu poétiquement désignés, auxiliaires du jardin. Il s’agit de créer un paysage issu d’une rencontre entre un environnement donné, un contexte, et un imaginaire bien souvent culturellement influencé, les trois dans un incessant mouvement de recherche d’équilibre.

Dans mes rencontres et dialogues avec des jardiniers amateurs comme moi, je constate souvent la profondeur du fossé entre le désir, l’espérance et la réalité vécue. “Mon jardin, c’est une cata…tous mes légumes ont été bouffés par les limaces… j’arrive pas à faire pousser des carottes, mon gazon est plein de mousse et de mauvaises herbes, mes cerises sont habitées”…, et tant d’autres espérances déçues.

Mais rassurez-vous, amis jardiniers, le syndrome “Power Point” contre-attaque! Vous avez vu ces interpellations sur internet? 3 choses à savoir pour cultiver la salade, 5 pièges à éviter pour de belles tomates, 4 engrais naturels indispensables, etc… C’est la liste à puces de nos désirs, celle qui simplifie le monde, celle qui vous fait croire que vous allez réussir à tous les coups en suivant des recettes éprouvées (5 trucs de grand-mère pour… !!). Il n’y pas que la jardinage qui est atteint du syndrome : 4 mois pour courir la marathon, 10 trucs pour réussir le bac, ranger vos armoires une fois pour toutes, et bien sûr le top du top: un mois pour perdre 10 kilos!

On économise ainsi notre temps d’intelligence et nos efforts. C’est l’inflation de la simplexification (c’est à dire de rendre simple ce qui est complexe: Une chose simplexe est une “chose complexe dont on a déconstruit la complexité que l’on sait expliquer de manière simple” , Edgar Morin). On la voit à l’oeuvre dans les bouquins de jardinage aussi: “Le potager du paresseux”, “Simplissime, le jardinage”, “Le jardin facile”, etc. Ces livres ont peut-être le mérite d’encourager les débutants à se saisir de la pelle et du rateau, au risque de leur faire croire que tout est simple et facile et de les exposer à de cruelles désillusions. Le risque aussi est celui de faire de gros dégâts dans la nature de leur jardin. Si, pour finir, découragés, ils abandonnent leurs efforts, la nature a toutes les chances de se recréer en liberté, ce qui est d’une ironie qui ne me déplaît pas…

Le jardin, s’il est d’abord un espace mental, comme le dit Gilles Clément, est aussi un lieu d’observation respectueuse, un lieu de connaissance, un lieu, bien sûr, de travail parfois méticuleux parfois physiquement pénible… toujours humble. La capacité a être surpris, la patience, le lâcher-prise, l’adaptation, la propension à expérimenter sans vouloir réussir à tous les coups, sont les qualités fondamentales des jardiniers qui veulent transformer avec douceur et respect le paysage de leur jardin pour qu’il rencontre leur paysage mental espéré.


Terre des femmes

A quelques jours de la grève des femmes suisses, il me semble opportun de parler un peu du rôle des femmes dans la production alimentaire de proximité. Dans nos contrées, il y a  encore quelques dizaines d’années, pas de maison de village, de ferme sans son jardin potager. Je me souviens de celui de ma grand-mère, tiré au cordeau, bordé de fleurs annuelles, qui assurait les légumes pour toute l’année. Je la revois biner, sarcler, faire la chasse aux limaces qu’elle lançait d’un geste alerte dans le poulailler. Les poules faisaient alors office de compost. Produire et conserver, était indispensable à l’équilibre économique familial. Bocaux de fruits et légumes stérilisés, bouteilles de sauce tomates, confitures,  remplissaient les étagères à la cave, avec les pommes et les pommes de terre de conservation. J’adorais cette odeur terreuse de cave… perspective de festins dominicaux sains et roboratifs! L’arrivée du grand congélateur-bahut au début des années 70, installé dans cette même cave, a été une sorte de rite de passage vers la modernité!

Aujourd’hui encore, le potager près de la ferme est, en général, géré par les femmes, qui maintenant, chose réjouissante, abandonnent les produits phytosanitaires et se mettent aussi à la permaculture. D’ailleurs, en Suisse, un tiers des personnes actives dans l’agriculture sont des femmes. Donc, hommage à elles!

Mais c’est dans les pays les plus vulnérables de la planète, que le rôle des femmes dans la production alimentaire de proximité est à souligner. Que se soit en Afrique ou en Amérique latine, la captation des terres par l’urbanisation galopante, l’insécurité économique, la diminution des ressources naturelles, la crise climatique sont des facteurs de développement de toutes sortes de projets au centre desquels se trouvent les femmes. Proposer des circuits courts, produire sa propre alimentation, acquérir des revenus complémentaires par la vente locale des produits, s’entraider  et se co-former entre femmes sont autant de  raisons du développement du maraîchage de proximité. Un maraîchage la plupart du temps biologique, consommant peu de terrain, grâce à l’utilisation optimale de petites parcelles marginales, souvent de manière collective. Parfois une petite activité associée de transformation de produit permet de régulariser les flux économiques sur l’année

Toutes sortes de pratiques et de projets adaptés aux contextes locaux, souvent innovants  sur le plan technique et social, favorisent la résilience  et l’autonomisation des femmes  dans des sociétés de plus en plus déstructurées par les crises politiques, environnementales, sanitaires et sociales.

Deux exemples en passant: sur des parcelles de 25m carrés, des femmes éthiopiennes séropositives cultivent fruits et légumes, ce qui leur donnent à la fois une meilleure santé pour elles et leurs enfants, et aussi leur permettent de retrouver une place sociale (c’est un projet accompagné par l’USAID).

A Nairobi, au Kenya, dans les zones très denses en population, il n’y a même pas la place de cultiver de tous petits lopins de terre, les femmes ont donc imaginé le potager en sac. Des sacs en plastique tissé, remplis de terre, avec, au centre des pierres pour réguler l’humidité, troués sur les côtés, permettent de produire des légumes devant la maison ou dans la cour. 

Micro-entrepreuneuriat, travail communautaire, pratiques agricoles ancestrales ou franchement novatrices, c’est comme ça que les femmes nourrissent le monde.

Le désir de Toichi Itoh

De lui, on ne sait rien ou presque rien. L’homme a été effacé, il a cependant donné son nom à un hybride de pivoines connu de tous les amateurs.

Alors, j’imagine la scène en noir et blanc; seules les couleurs des pivoines de sa serre émergent: jaune pâle, rose clair, blanc pur. On est dans les années quarante, Toichi Itoh est peut-être ouvrier dans une entreprise de Tokyo ou bien agent d’assurances, mais son amour, ce sont les fleurs, sa passion, les pivoines qu’il cultive dans son jardin de banlieue. A chaque moment de liberté, il leur consacre tous ses efforts: ce qu’il désire le plus, Toichi, c’est célébrer le mariage des deux espèces de pivoines, les herbacées et les arbustives pour obtenir le meilleur des deux. Il ne se souvient même plus comment est née cette idée, botaniquement impossible… Alors, il essaye de polliniser au pinceau, de créer des boutures, des greffons. Sa femme l’appelle pour le repas, il n’entend pas, Toichi: il a une mission.

Un document dit qu’il a effectué 20’000 croisements ratés. Toichi Itoh a sûrement connu des moments de découragement, voulu tout arrêter et cultiver des roses, mais en 1948 cependant, la réussite est au rendez-vous: le premier cultivar intersectionnel est né d’une plante herbacée à fleurs blanches (P. lactifolia ‘Kakaden’) et du pollen provenant d’une plante ligneuse à fleurs jaunes (P. x lemoinei). Madame Itoh a servi le saké!

Seulement voilà, Toichi Itoh est mort en 1956, le drame est qu’il n’a jamais vu sa pivoine fleurir, ce qui est s’est produit en 1964 ! Madame Itoh a laissé les pivoines là ou elles étaient, dans la serre. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, heureusement, un comptable américain à la retraite, Louis Smirnow, en a eu connaissance. En 1966, il a rendu visite à la veuve de Toichi Itoh et a sécurisé six plantes.

Smirnow, un autre cinglé de pivoines arbustives, s’y est intéressé dès 1931, lorsque sa femme et lui-même achetèrent leur première maison avec jardin. Sa passion pour la plante grandit et il finit par ouvrir une pépinière par correspondance spécialisée dans les pivoines arbustives. Pour trouver ces rares pivoines, il a parcouru le monde à leur recherche, persuadant même les Chinois de le laisser entrer dans le pays en 1979, environ cinq ans avant que la plupart des Occidentaux ne soient autorisés à passer la frontière. En 1974, il a enregistré quatre hybrides issu de la serre de Toichi Itoh, sous le nom d’Itoh Smirnow, en les baptisant «couronne jaune», «rêve jaune», «empereur jaune» et «ciel jaune». Une décennie plus tard, des obtenteurs américains ont commencé à introduire leurs propres hybrides intersectionnels. A l’époque, ces hybrides ne pouvaient être multipliés que par division, et coûtaient entre 300 et 1 000 dollars. Aujourd’hui, la technologie permet de produire en masse les pivoines Itoh en culture tissulaire.

La passion des pivoines ne date pas d’aujourd’hui et Toichi Itoh et Louis Smirnow n’étaient pas les seuls à en être saisi: En Chine, où elle était cultivée depuis le VIIIe siècle, la pivoine, en particulier la rouge, était considérée comme la reine des fleurs. Ses formes généreuses, ses floraisons voluptueuses exprimaient l’abondance. Les Grecs, quant à eux, lui attribuaient des pouvoirs magiques et la capacité à repousser les esprits mauvais. Son nom, Paeonia, lui vient d’ailleurs de Paeon, médecin des dieux de la mythologie grecque qui, selon Homère, l’utilisa en baume pour guérir Pluton de la blessure à l’épaule infligée par une flèche d’Hercule.

La pivoine herbacée se trouve à l’état endémique sur tout l’hémisphère nord, tandis que l’arbustive vient de Chine et des contreforts de l’Himalaya. Un peu oubliée dans les jardins de nos grands-mères, la pivoine refait surface depuis une cinquantaine d’années avec de nombreux cultivars de couleurs et formes variées. Il est encore possible de trouver la pivoine des paysans dite P. officinalis, parmi des centaines, voire des milliers de cultivars, dans certaines jardineries spécialisées. Pour s’y retrouver, on peut repérer 6 formes de fleur (simple, japonaise, semi-double, à collerette, en oeillet ou très double). On dit que la plante survivra facilement à son propriétaire, puisque elle peut vivre 100 ans et plus, si elle se trouve confortablement installée dans un terrain bien drainé, exposé soleil ou mi-ombre.

La beauté des pivoines vient de leurs couleurs délicates ou franchement vives et aussi, bien sûr, de leur éphémère mais grandiloquente floraison fin avril -mai. Les peintres aussi, l’ont célébrée et fixée sur la toile, notamment Renoir, Gauguin, Pissaro, Boudin. Le jardinier, lui, scrutera avec envie et impatience le développement des boutons et se désolera de la méchante pluie de début mai qui alourdira les boutons floraux déjà épanouis.

Moi je préfère les admirer au jardin. Mais, pour en conserver un peu de la splendeur et faire des bouquets qui durent “longtemps”, il faut cueillir les fleurs juste au début de la floraison, puis les mettre au frais, sans eau pendant 24 heures. Coupez ensuite en biais 1-2 centimètres de tige et placez les pivoines dans un vase rempli d’eau tiède, les feuilles ne doivent pas toucher l’eau. Renouvelez la coupe et l’eau tous les jours et placer le bouquet hors de la lumière du soleil.

Et n’oubliez pas une petite pensée pour le modeste Toichi Itoh, si vous avez la chance de posséder un hybride dans votre jardin !

Je pousse donc je suis…

…Mais qui le sait ? Les plantes aussi sont, n’en déplaise à René Descartes. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? Selon Descartes, c’est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas , qui imagine aussi, et qui sent. On peut aisément dire que les plantes ne doutent pas ou n’affirment pas, mais peut-on alors dire qu’elle ne sont pas ? La nature d’être est-elle seulement liées à ces critères ? Il me semble que la sensibilité à la douleur est une caractéristique primordiale de l’être qui pourrait nous éclairer dans notre relation à la nature, ou plus précisément au vivant.

Aujourd’hui, de nombreuses études scientifiques nous révèlent la vie intérieure des plantes. On y apprend, ce que notre intuition nous susurrait, à savoir que les arbres sont solidaires, qu’ils communiquent entre eux via un world wild web situé dans la rhyzosphère (le réseau des filaments de racines de champignons, pour faire simple), qu’ils s’adaptent aux agressions extérieures en changeant la composition de leur feuillage en quelques heures. Et bien sûr, les plantes se portent mieux quand nous leur foutons la paix. Est-ce nécessaire de savoir-penser cela, pour mieux les aimer et les respecter?

Par quel bout renouer le lien qui nous unit au vivant avant que nous l’ayons complètement perdu? L’historien Yuval Noah Harari, dans son brillant “Sapiens”, décrit comment la naissance de l’agriculture a fait d’homo sapiens l’espèce la plus prospère et la plus destructrice que la planète ait porté. Le chasseur-cueilleur n’avait pas l’outrecuidance de se croire supérieur à l’animal chassé et ne percevait pas son impact sur le système écologique (il risquait aussi de se faire embrocher par un rhinocéros…). Voilà en gros 12’000 ans, la naissance de l’agriculture, crée un homme nouveau: le cultivateur, inscrit dans un mythologie de domination, de domestication des animaux et des plantes, devient capable de réduire au silence le peuple végétal et animal.

Aujourd’hui, le résultat est là: nous en sommes à la 6ème extinction, la seule provoquée par l’humain. Selon le récent rapport sur la biodiversité mondiale, les trois quarts de l’environnement terrestre et environ les deux tiers du milieu marin ont été significativement altérés par homo sapiens. Au delà de la flore et de la faune sauvage, même les espèces végétales cultivées ont été réduites de 90% en 100 ans. En moyenne, ces tendances ont été moins graves ou évitées dans les zones qui appartiennent à/ou sont gérées par des peuples autochtones et des communautés locales. Cet élément donne un triste crédit à la thèse d’Harari sur les chasseurs-cueilleurs et les cultivateurs. Dès lors, pouvons-nous sortir de notre anthropocentrisme suicidaire? Pouvons-nous encore et désirons-nous nous ré-ensauvager un peu ? Il ne s’agit pas là de romantisme rousseauiste, mais d’une question de survie!

Pour pouvoir re-trouver la conscience que nous sommes la nature, des vivants dans le vivant, il faut, selon les écopsychologues, passer par les étapes du travail de deuil:

  • le déni: pas de doute, les climatosceptiques font bien leur boulot!
  • la colère: les jeunes qui manifestent ces temps, les écologistes, les activistes…
  • le marchandage: la technologie va nous sauver de la catastrophe, (les crédits carbones, la captation du Co2, les voitures électriques, par exemple)
  • la dépression: l’étape encore à venir pour la plupart d’entre nous tant nous ne sommes pas prêts à faire le deuil du monde tel que le connaissons, d’autant plus difficile à envisager que cette mort arrive à petit pas, presque silencieusement pour ceux qui ont (encore) les oreilles bouchées
  • Et enfin, la renaissance, le réengagement dans un nouveau monde, dans un nouveau récit du vivant encore in-envisageable, c’est à dire qui n’a pas encore de visage.

Intéressant, non ? la route est encore longue pour faire cohabiter dans l’harmonie “penser donc être”, “être donc penser”, et “être donc être”.


Du train au jardin…

Les voies ferrées curieusement ont un lien étroit avec les jardins. Je pense d’abord aux nombreuses parcelles cédées ou louées par la SNCF à ses employées. Créée en 1942, le Jardinot, d’abord réservé aux cheminots et depuis 2005 ouverte à tous, est l’association la plus importante en nombre de jardins familiaux ou jardins ouvriers. Avez-vous remarqué près des gares françaises, des parcelles, souvent en talus, cultivées sur 5-10 m. de largeur ? Pour améliorer un quotidien rude, les employés SNCF ont très tôt mis à profit ces parcelles ingrates. Aujourd’hui, les abords de nombreuses voies ferrées offrent des espaces de culture et convivialité. Jardinot se donne pour buts de transmettre à ses 45’000 adhérents le goût du jardinage éco-responsable, de la nature, le respect de l’environnement, le sens de l’amitié, de la solidarité en encourageant toutes les formes de jardinage. http://www.jardinot.org

Autre lien entre trains et jardins et loin du concept des parcs urbains, les jardins issus de la réhabilitation de voies de transports font florès dans les métropoles. Les territoires susceptibles d’accueillir de grands parcs ont été mangés par les constructions et il ne reste que peu de territoires à conquérir pour le vert en ville. Et pourtant, la qualité de vie des cités est aussi tributaire du contact possible avec la nature (je ne parle même pas ici de la lutte contre les îlots de chaleur). La première réhabilitation d’importance d’une voie ferrée en espace vert est la célèbre “Coulée verte René Dumont” à Paris qui suit le tracé de l’ancienne voie ferroviaire de Vincennes sur 4,7 kilomètres. Cet exemple a certainement inspiré les urbanistes et paysagistes de grandes cités qui ont à leur tour proposé des jardins qui permettent aux habitants et visiteurs de s’approprier de nouveaux paysages et espaces. De nombreux projets sont en cours de conception à Chicago, Saint-Louis, etc. Probablement, la plus fameuse réalisation, et certainement la plus ambitieuse est la High Line de New York:

New York : La High Line était autrefois une voie ferrée suspendue à 10 mètres permettant le transit des marchandises au-dessus du quartier de Chelsea et de la 10ème rue à l’époque si encombrée de calèches, chevaux, voitures qu’elle était surnommée la rue de la mort à cause des accidents et carambolages qui s’y produisaient. Avec le temps, le transit marchandises se fit par camion et la voie fut fermée en 1980… et oubliée jusqu’à la fin des années 90. Un collectif de riverains milita pour la conservation et la réhabilitation de ce patrimoine citadin. Depuis son inauguration en 2009, ce sont plus de 10 millions de personnes qui l’ont parcourue et ont découvert un jardin pensé pour la ville et répondant aux préoccupations sociales et environnementales.


La promenade propose une large sélection de plantes et fleurs, dont de nombreuses espèces indigènes des prairies américaines. Le plan et calendrier des floraisons est disponible sur le site internet de la High Line. Aucun pesticide n’est utilisé, préservant les nombreux oiseaux et insectes qui y ont élu domicile. Enfin, les lumières installées le long de la promenade sont des LED orientées vers le sol, afin de limiter la pollution lumineuse. En quelques années la High Line est devenu un must pour les touristes et les habitants qui peuvent y vivre des moments de détente et de contemplation ou d’y assister à des performances artistiques. http://www.thehighline.org

Jerusalem : Des chemins piétonniers, des pistes cyclables et un parc linéaire de 7 km de long relient entre eux sept quartiers arabes et israéliens de Jérusalem qui n’étaient plus connectés. Le Train Track Park a été construit entre 2010 et 2013 sur la voie ferrée désaffectée reliant Jaffa et Jérusalem. Jusqu’à une date récente, la zone où se trouve maintenant le parc était « la décharge de Jérusalem”, mais aujourd’hui, les habitants y voient une opportunité à la fois économique et de socialisation. Sur certains tronçons, des clôtures ont été installées, mais aujourd’hui la tendance est plutôt d’ouvrir des cafés et des lieux de convivialité comme des espaces de lecture ou d’expression artistique. On y pratique le vélo, le yoga et la sieste bien sûr ! Et la fraternité peut-être…

Sydney, en Australie, a converti la voie ferrée abandonnée de Darling Harbor en une piste réservée aux cyclistes et aux piétons qui a ouvert en 2015. Le parc partiellement suspendu porte le nom de Goods Line. Comme à New York, la voie ferrée avait été construite au 19ème siècle pour transporter des marchandises du pays (principalement de la laine, du blé et du charbon) jusqu’au port avant de les exporter partout dans le monde. Sur la Goods Line, on trouve des tables de ping-pong, une salle de gym en plein air, des espaces de travail, un amphithéâtre et une multitude de petits coins où l’on peut se relaxer.

Séoul enfin, où les habitants peuvent se promener dans un parc éblouissant qui surplombe la ville. Au lieu de démolir un échangeur désaffecté, les autorités de la ville ont décidé de le transformer en une promenade suspendue de près d’un kilomètre, bordée de plus de 24 000 plantes, fleurs et arbres. Les promeneurs peuvent se balader parmi des cafés-librairies, des stands de spectacles de marionnettes et des petits cafés. À la nuit tombée, le parc est illuminé en bleu grâce à un éclairage LED.

A travers ces exemples, on peut constater l’appétit des cités contemporaines pour le vert et la réhabilitation du patrimoine industriel ou des infrastructures de transports. La nature à reconquis de nouveaux terrains à même d’augmenter l’attractivité des villes et de proposer des espaces sociaux, artistiques et de biodiversité. On monte dans le train ?



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